Théophile Hiom II, Avocat revient sur le phénomène de séquestration des malades incapables de payer leurs factures dans les hôpitaux publics au Cameroun, et souligne que la retenue des patients ne saurait être systématisée.

Quelle appréciation faites-vous de la séquestration des malades insolvables dans les hôpitaux publics ?

Le « phénomène de séquestration des patients » dans les hôpitaux, si tant est que l’on peut utiliser ce vocable, ne date pas d’aujourd’hui. Notre pays a connu plusieurs épisodes, médiatisés ou non, de différends entre hôpitaux et patients, notamment en ce qui concerne le paiement des factures par ces derniers. Cette situation pose le problème de l’accès aux soins, de la gouvernance des hôpitaux, et, éventuellement, de l’indigence des patients.

Les hôpitaux ont-ils le droit de séquestrer les malades pour défauts de paiement de factures ?

C’est une situation délicate. La séquestration au sens pénal du terme (article 291 du code pénal) est la privation de liberté dans l’intention de nuire. Dans notre cas, des personnes qui ont bénéficié d’un service payant sont retenus pour payer ce qu’ils doivent à l’institution, cette dernière craignant le péril de recouvrement si le débiteur sortait de son espace de contrôle. D’un côté, il y a effectivement le besoin de préserver le droit universel et consacré d’aller et venir, et de l’autre, le droit d’être payé après un service, faut-il un service de santé.

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La retenue des patients ne saurait être systématisée, tout comme laisser aller tous les patients qui n’ont pas payé créerait un dangereux précédent, qui mettrait nécessairement nos hôpitaux en faillite. L’idéal serait que nous arrivions assez rapidement à la couverture santé universelle, promise depuis au moins une décennie mais toujours pas mise en place.

Que prévoit la loi camerounaise à ce sujet ?

D’une manière générale, la politique de santé au Cameroun est orientée vers l’accessibilité universelle aux soins essentiels et de qualité et, entre autres, la protection et la promotion de la santé des groupes vulnérables et défavorisés, notamment les femmes, les enfants, les adolescents, les personnes du troisième âge, les indigents et les handicapés, tel que le prévoit la loi cadre dans le domaine de la santé du 04 janvier 1996.  De même, il existe une circulaire du ministre de la Santé du 28 février 2016, qui indique que la prise en charge des urgences médicales et chirurgicales vitales est prioritaire et sans conditions. Cependant l’accès aux soins n’est pas gratuit, et même en cas d’urgence, le paiement est exigible 24h après la stabilisation du patient, aux termes de la circulaire sus citée.

Y aurait-il une loi qui s’applique aux hôpitaux et une autre aux patients en difficulté ?

Les hôpitaux sont des établissements publics administratifs qui sont à la base régis par des dispositions de droit commun, notamment la loi de juillet 2017 portant statut général des établissements publics. Il existe des textes épars qui peuvent également s’appliquer aux hôpitaux en fonction des situations. Si par « patients en difficultés », vous voulez dire patients indigents, il est bon de rappeler que l’indigence ne se décrète pas. L’indigence est un état reconnu et consacré par la loi, dont un individu peut se servir pour réduire ses factures ou être pris en charge gratuitement.

Le Décret n°82/412 du 9 septembre 1982 a encadré les modalités d’octroi des secours de l’Etat aux indigents et aux nécessiteux. Est, réputée indigente et nécessiteuse : Toute personne handicapée physique ou mentale ne pouvant en raison de son état, participer à l’effort productif générateur des revenus ; Toute personne rendue temporairement telle en raison des circonstances imprévisibles. Autrement dit, il faut que la personne qui nécessite une prise en charge totale ou partielle de ses factures hospitalières par l’État ne puisse, en raison d’un handicap ou de circonstances imprévisibles, travailler pour le faire. Le statut d’indigent ne se « construit » donc pas en situation de conflit à l’hôpital. Le patient doit, au préalable, constituer un dossier qui lui permettra, dans l’hypothèse où il se rend à l’hôpital, d’être pris en charge totalement ou partiellement par l’État. L’on distingue dans ce cas deux types de prise en charge : celle dite « immédiate » ou de « première urgence » et la prise en charge « durable ».

En ce qui concerne la première catégorie, le patient doit préparer le dossier suivant : Une demande sur papier libre indiquant les noms, prénoms et adresse du requérant ainsi que l’objet de l’aide adressée au préfet territorialement compétent sous le couvert du responsable local des affaires sociales, qui émet un avis motivé ; Les certificats de naissance et de vie des nouveaux nés et éventuellement le certificat de vie collectif des autres enfants du requérant en cas de naissance multiples.

Pour la seconde catégorie, il faudra : Une demande timbrée sur papier libre indiquant les noms, les prénoms, la situation familiale du requérant ainsi que l’objet de l’aide, adressée au Ministre Chargé des Affaires Sociales, sous le couvert de l’autorité administrative la plus proche ; Un certificat médical délivré gratuitement par le médecin de l’administration et déterminant le taux d’incapacité permanente ou partielle ainsi qu’une photographie entière du requérant, en cas de demande de voiturette ou de prothèse; Un certificat de domicile ; Un rapport d’enquête sociale établi par le responsable local des affaires sociales, sur réquisition du préfet territorialement compétent. Toutes autres pièces justificatives.

Les hôpitaux ont-ils tous les droits sur les patients tant qu’ils se trouvent à l’hôpital ?

Il n’y a aucune institution qui pourrait prétendre avoir « tous les droits » sur des personnes, encore moins des patients.  Cependant un patient soigné qui n’a pas payé n’est plus un patient, il devient un débiteur. L’hôpital n’a donc pas tous les droits sur les patients, mais a le droit de recouvrer sa créance. Les méthodes de recouvrement peuvent être discutables, mais le droit de recouvrer ne peut être enlevé à l’hôpital, au risque de remettre en cause même son existence.

Dans ce cas, quelle est la responsabilité du ministère de la Santé Publique ?

Le ministère de la Santé Publique implémente l’action gouvernementale dans le domaine de la santé, et est hiérarchiquement la tutelle et le patron de tous les hôpitaux publics, voire privés. Cependant les hôpitaux ont une gestion autonome, notamment au niveau financier, laquelle gestion est auditée et évaluée. Les hôpitaux sont également soumis aux exigences de performance. Le ministère de la Santé Publique n’intervient donc pas dans la gestion quotidienne d’un hôpital, bien que des situations particulières puissent nécessiter son intervention directe.

La/les victime(s) peut(vent)-elle(s) poursuivre le directeur de l’hôpital ?

On ne peut empêcher une personne d’engager des poursuites contre quiconque, si cette personne estime être abusée. Il faut juste préciser que le directeur de l’hôpital ne devrait être poursuivi à titre personnel que pour des actes détachables du service.

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Quels sont les risques que courent le directeur de l’hôpital ?

Il faudra d’abord déterminer les actes posés par le directeur de l’hôpital. Chaque situation est différente. Mais comme indiqué plus haut, pour des actes détachables du service, le directeur encourt des poursuites et des éventuellement les peines de droit commun. Il ne bénéficie d’aucune immunité.

Y a-t-il une loi qui protège le patient ?

Une loi particulière consacrée aux patients, pas à notre connaissance.

Réalisé par Michèle EBONGUE

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