« C’est le double rôle de la Snh qui crée problème »

Expert en pétrole et mines, Dr Baruja Youmssi s’exprime sur la cession par la filiale de Savannah Energy Plc de 10% du capital social de COTCO à la Société nationale des hydrocarbures. Un accord qui a provoqué le mécontentement du Tchad qui a fini par rappeler son ambassadeur en poste à Yaoundé, la capitale camerounaise rôle de la Snh.

A la suite de la signature d’un accord prévoyant la cession par la filiale de Savannah Energy Plc de 10% du capital social de COTCO à la Snh, les autorités tchadiennes ont dénoncé une violation des conventions et Statuts de COTCO. Mécontent de cet état des choses, ce pays voisin a décidé de rappeler leur ambassade en poste à Yaoundé. Que faut-il comprendre par cet incident ?

A première vue c’est une transaction traditionnelle dans le monde des affaires. Savannah Energy à travers sa filiale dans l’actionnariat de COTCO décide de céder 10% de ses parts à la Snh pour un montant de 27milliards de F Cfa.  Le Tchad dénonce cet accord de cession des parts disant que c’est en contradiction avec la convention et statut de COTCO.

Je pense que si tel est le cas, le Tchad devra aller au tribunal de commerce pour un arbitrage. Sur le plan business c’est normal, par contre sur le plan politique je ne comprends pas les agissements de nos représentants dans les deux structures qui gèrent les infrastructures du pipeline Tchad-Cameroon, les deux Etats devaient d’abord s’accorder en amont avant la signature de cet accord de cession par la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH).

Ici c’est le double rôle de la Snh qui crée problème ; voilà pourquoi j’ai toujours demandé la réforme de la Snh qui verra la création d’un ministère du pétrole et la Snh sera juste une compagnie nationale opérant dans l’industrie pétrolière comme toutes les autres.  Je me pose aussi la question sur l’opportunité de cet achat car c’est risqué. Si le Tchad aujourd’hui décide de faire passer son pétrole brut par la Lybie ou autre pays, le Cameroun aura fait un investissement nul. Nous devons attendre et comprendre la nature et l’opportunité de cette transaction avant de donner un avis assez objectif. En attendant que les autorités des deux pays se mettent rapidement à table pour régler le conflit diplomatique crée par la Snh et ses complices de Savannah Energy.

Pourquoi dites-vous que cet achat est une acquisition dangereuse pour le Cameroun ?

Je pense qu’il faut commencer par la genèse de cette histoire. Un grand gisement de pétrole et gaz est découvert au sud du Tchad non loin de la frontière avec le Cameroun ; ExxonMobil qui est l’opérateur du projet conduit une étude de faisabilité et conclu que pour que le projet soit économiquement rentable et sécurisé l’unique sortie du pétrole brut du Tchad c’est par le Cameroun.  Donc il est question de construire un pipeline qui part du Tchad à Kribi (environ 1000 km) au Cameroun et en plus de ça construire un terminal pétrolier à Kribi rôle de la Snh.

Le pipeline en question doit traverser deux pays le Tchad et le Cameroun ; donc il faut signer des conventions et accords entre les deux pays. Ce qui est fait et de cela en découle la création de deux entités Cameroon Oil Transportation Company (COTCO)et Tchad Oil Transportation Company (TOTCO) pour la construction et la gestion des infrastructures liées au transport, au stockage et évacuation par des tankers, le stock brut sorti du projet de Doba (qui est constitué de 7 champs pétroliers produisant environ 28.000 barils de pétrole par jour).

Donc vous avez en gros trois structures créées pour mettre le projet en marche (la JV Exxon Mobil 40%, petronas 35%, chevron25%), COTCO et TOTCO où on retrouve les Etats du Cameroun et du Tchad (3% chaque État) ainsi que Exxon dans ces deux structures chargées de construire et gérer les infrastructures telles que le pipeline et le terminal flottant de stockage de pétrole.

Ce projet est en marche depuis 2003 et tout allait bien jusqu’au moment où ExxonMobil commence à avoir des soucis au Tchad et décide de désinvestir, donc de vendre ses actifs dans toutes les structures.  C’est à ce moment qu’apparaît Savannah Energy, une compagnie très peu connue dans l’industrie pétrolière (enregistrée en 2014), ils font une offre de 400 millions de dollars pour le rachat de tous les actifs de Exxon du projet ; l’offre est acceptée par Exxon mais rejetée par le Tchad qui ne croit pas à la capacité technique et financière de Savannah et le Tchad est convaincu que Savannah est une compagnie écran qui sert les intérêts d’une certaine élite africaine en général et du Cameroun en particulier. Donc les Tchadiens pensent être victime d’un complot qui a pour intérêt de prendre le contrôle des ressources pétrolières de leur pays. Malheureusement le Cameroun a continué à jouer le jeu des groupes d’intérêts au point de mettre en mal son partenaire, son voisin et ce qui devait arriver arriva rôle de la Snh.

Cet achat sent donc la distraction d’argent de l’Etat camerounais ; COTCO existe parce que le pétrole tchadien coule dans le pipeline et si les Tchadiens décident d’utiliser une autre alternative pour sortir leur pétrole s’en est fini pour COTCO sauf si entre temps le Cameroun développe le champ pétrolier du Graben de Bénoué. Là encore il faudra attendre 10-15 ans. Savannah Energy a des origines douteuses. Nous sommes en plein dans une mafia.

Quels pourraient être les conséquences si le Tchad venait à décider de faire passer son pétrole brut par la Libye ?

Comme je l’ai dit plus haut à l’époque, l’option économique et sécuritaire était de passer par le Cameroun ; aujourd’hui avec le décès de Kadhafi et la transition politique en Libye, le prix du baril est élevé, l’option pour le Tchad de faire passer son pétrole dans un autre pays n’est pas à exclure et le Cameroun sera le meilleur perdant car, les Camerounais perdront leurs emplois, le budget du Cameroun sera privé des impôts et des taxes royalties qui venaient de ce projet. Il est clair que ceux qui ont poussé le Tchad à bout ne l’ont pas fait pour les intérêts du Cameroun. Et je continue d’insister qu’il est temps de réformer la Snh, il est temps de créer un ministère du pétrole ; aujourd’hui personne ne peut dire avec exactitude qui gère l’industrie pétrolière du Cameroun.

Le Tchad est victime d’une grande mafia, j’approuve leur démarche, nous devons respecter nos voisins. Les Tchadiens ne sont pas dupes, ils savent exactement de quoi il s’agit ; eux au moins sont des patriotes, ils ne sont pas prêts à vendre leur pays comme nous l’avons fait tout récemment avec le projet gazier de Yoyo.

rôle de la Snh Pourquoi jusqu’ici les autorités camerounaises semblent muettes face à ce scandale ?

L’affairisme d’une certaine élite camerounaise dans les agissements de Savannah Energy et le pétrole tchadien met en mal les relations entre le Tchad et le Cameroun, et du coup le gouvernent camerounais ne sait plus à quel saint se vouer. Personne n’avait su que le Tchad haussera le ton de cette manière, donc le silence du gouvernent camerounais ne me surprend pas car c’est la grande mafia qui gère nos ressources naturelles au sommet de l’État qui est impliquée dans cette affaire. Nous l’avons vu avec le projet de Mballam et de Lobe à Kribi.

Au Cameroun on ne sait pas qui gère le pétrole ou les mines et voilà pourquoi j’ai toujours demandé la création d’un ministère des mines (uniquement) et la création d’un ministère du pétrole. Avec ça le réseau de la présidence sera un peu affaibli et contrôlé

Mélanie Ambombo

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