[SERIE] Ngouache : Le calvaire des survivants, deux mois après la catastrophe

Entre la promiscuité ambiante de certains sites d’hébergement et la quête des meilleures conditions de vie, les 147 familles qui ont survécu à la catastrophe de Ngouache à Bafoussam dans la région de l’Ouest, crient à l’abandon.

Près de 3 mois après le drame, un jeune-homme entreprend une curieuse activité sur cette aire ravagée, empreinte de désolation. Achille Ndongmo, un ancien habitant de Ngouache, est retourné sur le site. « Je récupère les fers de construction pour les revendre afin d’avoir à manger. Parce que depuis que nous n’avons plus de maison, on ne m’a presque rien donné, alors que j’appartiens à l’une des familles des sinistrés. Notre maison était là-haut, là où se trouve ce bananier », dit-il en désignant du doigt un point situé vers le sommet de la pente. « Ma petite sœur est morte dans l’éboulement » confie cet homme de 33 ans qui n’a eu la vie sauve que parce qu’il était rentré tardivement à la maison, la nuit de la catastrophe.

Les membres de sa famille, font partie des rescapés du drame. 11 personnes sorties des décombres et internées gratuitement à l’hôpital régional de Bafoussam, avant d’être logés dans l’un des trois sites d’hébergement provisoire offert aux rescapés et aux déguerpis.

Pascal Nguéga, un autre rescapé de la catastrophe de Ngouache, pleure encore la mort tragique de ses deux enfants dans ce drame.  Mais ce dimanche, Anastasie Christelle, une autre de ses enfants, a bien failli s’en aller brusquement elle aussi. La petite fille de 10 ans est tombée d’une hauteur d’au moins trois mètres alors qu’elle jouait.

La faute à l’insécurité de l’immeuble où ils sont hébergés en attendant un logement définitif. C’est un hôtel en construction au quartier Ndiengdam dans l’arrondissement de Bafoussam 1er. Aucune porte, ni fenêtre, encore moins des balustrades de sécurité pour éviter qu’on ne tombe de l’un des trois étages de l’hôtel en chantier.

« J’avais six enfants. Lorsque l’éboulement est survenu, on n’a pas pu sauver deux. Je ne me suis même pas encore remis du départ de ces enfants. Aujourd’hui voilà une troisième qui a failli mourir dans une chute. Nous venons de la conduire à l’hôpital », témoigne Pascal Nguéga, partagé entre la colère envers les enfants qui au cours de leurs jeux, ont poussé sa fille par imprudence, et le dépit face aux conditions de vie dans ce site d’hébergement. « Vous êtes témoins de nos difficultés », poursuit-il en faisant référence à l’accident de sa fille. « Nous n’avons ni eau, ni électricité. Nous avons appris que les sinistrés ont droit au petit déjeuner chaque matin et à un service traiteur en mi-journée. Mais depuis que nous avons été recasés à l’hôtel, nous n’avons rien vu de tout cela. C’est chacun pour soi.Aucune autorité ne nous a rendu visite depuis notre sortie de l’hôpital. Avant la catastrophe, je fabriquais des chapeaux traditionnels et je faisais le petit élevage. Mais dans ces conditions, je ne peux plus exercer ces activités qui me donnaient de quoi nourrir ma famille » confie-t-il.

A lire aussi :  Fièvre jaune : Déjà trois cas confirmés au Cameroun en 2024

 Ce survivant déplore les promesses non tenues à l’endroit des 56 familles provisoirement logées dans cet hôtel en construction. Un hébergement marqué principalement par la promiscuité. Une seule chambre a été attribuée par famille, indépendamment de la taille de celle-ci.  Les pouvoirs publics leur ont toutefois distribué du matériel de couchage, des denrées alimentaires, et des produits de première nécessité. Louable certes, mais insuffisant pour tenir jusqu’au retour à des conditions d’habitat et de vie plus confortables. Sur ces familles, pèse en outre la pression exercée par le propriétaire de l’immeuble en chantier, qui leur demande de quitter les lieux en fin janvier 2020, afin de poursuivre les travaux de construction.

Répartition inégale 

Les sinistrés ne sont pas logés à la même enseigne. La cité d’hébergement de Tamdja à l’ancienne polyclinique Tagne et celle du centre de formation de l’Union des Coopératives de Café Arabica de l’Ouest(UCCAO) abritent respectivement 36 et 16 familles. Dans ces deux cités les conditions de vie sont de loin meilleures que celles de l’hôtel en construction. L’état des lieux est appréciable, même si on déplore l’absence d’eau. Ces sites d’hébergement abritent principalement des familles déguerpies qui n’ont perdu aucun membre dans la catastrophe. Mais le site de l’UCCAO, particulièrement, est le plus connu et le plus visité par des donateurs. Les familles qui y sont recasées, reçoivent régulièrement de l’aide des particuliers, au point d’en revendre, alors que les sinistrés des autres sites n’en ont pas. Une situation qui a créé une discrimination entre les sinistrés. Ceux de l’UCCAO ne veulent aucune visite des autres sinistrés, de peur de voir la diminution des dons.

A lire aussi :  Fièvre jaune : Déjà trois cas confirmés au Cameroun en 2024

La promiscuité ambiante du site d’hébergement de Ndiengdam, l’abandon des sinistrés à eux-mêmes, les privilèges des déguerpis recasés à la cité de l’UCCAO au détriment des rescapés hébergés à Ndiengdam… C’est ce que regrette le Secrétaire Exécutif Régional du réseau Dynamique Citoyenne pour l’Ouest. Hugues POJUME, par ailleurs Chef de l’Unité Alerte Assistance et Protection au sein de la Ligue des Droits et Libertés, conduit un projet de mobilisation sociale intitulé « Zones à risques, cas de Ngouache », en vue notamment, d’identifier les familles sinistrées et celles exposées aux risques dans ce quartier, d’accompagner les opérations de déguerpissement et de recasement dans les sites choisis par l’état, et suivre le processus de recasement des sinistrés.

« Ce ne sont pas des êtres humains qu’on devrait loger dans ces conditions, vu ce qu’ils ont perdu » affirme cet acteur de la société civile, en référence aux conditions d’hébergement à l’hôtel en construction de Ndiengdam. « L’Etat ne manque pas de moyens de mieux les recaser provisoirement » ajoute-t-il, sans toutefois ignorer les multiples efforts consentis après le drame. « On a vu la cadence avec laquelle les autorités sont descendues sur le terrain, et la rapidité avec laquelle ce problème a été traité. Vraiment il faut le saluer connaissant comment l’administration est lente. On note aussi que l’Etat a fait ce qu’il pouvait pour la prise en charge des obsèques. De toutes les façons, cet aspect-là est apprécié par les bénéficiaires. Le recasement de ces familles est en cours. Le 23 décembre 2019, comme promis, le gouverneur de la région de l’Ouest a effectivement procédé à la remise des attestations d’attribution des parcelles à 147 sinistrés. C’est important» conclut Hugues POJUME qui fait ainsi une appréciation mitigée de l’action des autorités publiques dans la gestion de la catastrophe de Ngouache.

Philipe MALONG à Bafoussam