Trafic de médicaments : l’Ouest perd en moyenne une centaine de millions par an

Ces médicaments de la rue qui viennent en majorité du Nigeria, se retrouvent dans les hôpitaux, les pharmacies et dans la rue, avec la complicité des autorités, des élites, des populations, causant ainsi des pertes économiques énormes 

Le 21 novembre 2023, au marché A de Bafoussam, un abonné des pharmacies de rue s’est évanoui après avoir pris une injection lors de son rendez-vous chez son « docta » (vendeur des médicaments de la rue). Conduit dans un centre de santé, ce sexagénaire a rendu l’âme quelques heures plus tard. Face à la colère de la population, le vendeur à pris la poudre d’escampette, échappant ainsi à une vindicte populaire. 

Dans ce marché, tout un secteur est dédié à ces vendeurs de médicaments de qualité douteuse, tout comme dans les autres espaces marchands de ce chef-lieu de la région de l’Ouest. Un secteur qui attire plusieurs types de consommateurs. Joseph T est un habitué. Comme à l’accoutumé, cet infirmier principal et responsable d’un centre de santé basé dans l’arrondissement de Bafoussam 2e est venu s’approvisionner chez son fournisseur habituel installé au marché B de Bafoussam. 

Cet infirmier a une liste constituée de seringues, perfusions, médicaments et autres consommables médicaux. Des produits qui seront utilisés dans son centre de santé. « Tu as une dernière facture à régler ici », insiste le vendeur, qui lui tend une facture de 78 650 F Cfa. « Ne t’inquiète pas. Je vais régler toutes mes factures la prochaine fois », rétorque son interlocuteur.  

Au marché B, on dénombre une dizaine de vendeurs de « médicaments de la rue »  installés dans des kiosques ou sur des étals de fortune. Ici comme dans les autres marchés, ils vendent en toute impunité malgré la correspondance du gouverneur de la région de l’Ouest, Awa Fonka Augustine, par ailleurs, président du Comité régional de lutte contre les faux médicaments, portant interdiction d’attribution par les maires des boutiques à ces « docta ». « Le marché noir de l’importation des médicaments à l’Ouest est en grande majorité contrôlé par les commerçants installés dans les marchés. Ce qui favoriserait la grande prolifération de la vente illégale de ces dangereux médicaments dans les rues », a déploré le gouverneur.

Pour contourner cette interdiction, certains vendeurs sillonnent les rues, font du porte à porte, ou vendent à la criée. « C’est une activité onéreuse mais dangereuse. Les forces de maintien de l’ordre nous interpellent régulièrement », confie Fabrice Y, vendeur. Un autre vendeur confie avoir plusieurs fois été interpellé par les forces de maintien de l’ordre et de sécurité. « Nous nous sommes arrêtés chaque fois. C’est pourquoi nous exposons plus des emballages vides, même si nous ne sommes pas à l’abri des menaces. Nous sommes obligés de continuer notre activité. Nous avons des bouches à nourrir et des enfants à envoyer à l’école », justifie un autre vendeur.

 

Le marché noir du Nigéria.

Ces « poisons » selon Sadou Oumarou, chef secteur des douanes de l’Ouest, par ailleurs membre du Comité régional de lutte contre les faux médicaments, viennent pour la plupart du Nigéria. « Ils entrent dans cette région avec la complicité des autorités administratives et sanitaires, des élites, des populations et se retrouvent malheureusement dans les hôpitaux, les pharmacies et dans la rue », regrette-il.

Des médicaments exposés dans la rue.
Des médicaments exposés dans la rue.

Une source au sein du Comité régional de lutte contre les faux médicaments affirme que des lettres de rappel à l’ordre ont été servies à des pharmacies identifiées et confirmées à la suite d’une enquête bien diligente. Pour être efficace, le Conseil national de l’ordre national des pharmaciens du Cameroun (Cnopc) a été saisi à cet effet. « Vous pouvez comprendre pourquoi les actions entreprises jusqu’ici ne produisent pas des résultats. Pourtant, ces médicaments sont à l’origine des insuffisances rénales, de l’infertilité des femmes, avec des faux contraceptifs et des aphrodisiaques », a déploré ce membre.  

Ces médicaments échappent au circuit normal de distribution des médicaments et des consommables médicaux à en croire le Dr. Patrict Mbopi, pharmacien. Il explique que « le circuit de distribution des médicaments se fait par le biais des laboratoires fabricants, de grossistes (appelés répartiteurs) et les détaillants (pharmaciens d’officine). Environ 80% des produits sont distribués selon le circuit suivant : laboratoires grossistes-pharmacie-consommateur (patient) ». 

D’après le Dr. Jean-Claude Kanmogne Tamuedjon, représentant Ouest du Cnopc et membre du comité, « la lutte contre les faux médicaments est une affaire d’Etat, car c’est lui qui est le garant de la santé de ses citoyens ». Il précise que des produits qui échappent au circuit normal de distribution sont faux. « Les officines pharmaceutiques sont bien organisées. Des médicaments qui sortent de ce circuit sont faux. C’est pourquoi les autorités doivent tout mettre en place pour saisir tous ces médicaments », insiste-t-il. Le Dr. Jean-Claude Kanmogne Tamuedjon ajoute que, « le trafic des faux médicaments impacte de 30 à 40% sur les revenus des pharmacies ». 

 

Des pertes financières

Il classe les médicaments de la rue au rang des faux. Car, selon lui, ils sont d’abord ceux n’ayant pas suivis le circuit normal de distribution : fabrication de médicaments par un laboratoire pharmaceutique, envoyé par la suite à un grossiste répartiteur comme Laborex et Ubipharm dans notre pays et puis du grossiste dans les officines pharmaceutiques. Ces dernières se chargent de la distribution aux patients. « Ces faux médicaments n’ont pas de substance active devant traiter le patient. Vous pouvez comprendre pourquoi les centre d’hémodialyse se multiplient dans notre pays. On parle de plus en plus des douleurs gastriques par exemple », a précisé le représentant Ouest du Cnopc. À la délégation régionale de la Santé publique de l’Ouest, nos démarches sont restées vaines. 

Dans le cadre de la lutte contre ce phénomène, une cargaison de 100 cartons de médicaments d’origine douteuse a été saisie par le secteur des douanes de l’Ouest en 2023. Elle est évaluée à 183.000.000 F Cfa. Un important stock de 23 620 boites de médicaments constitué d’antipaludiques, d’analgésique, d’antibiotiques, d’anti-diarrhéiques et bien d’autres produits pharmaceutiques avaient été saisis le 18 novembre 2021. En octobre 2022, 113 cartons de faux médicaments ont été également saisis par la douane.  Les pertes sont évaluées en moyenne à plus d’une centaine de millions par an, à en croire Sadou Oumarou. 

Jordan Kouénéyé

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