« Beaucoup d’instituts scolaires n’ont pas d’infirmerie »
Jasckson Tousse

Secrétaire Général du Syndicat des Enseignants du Cameroun pour l’Afrique (SECA), Jackson TOUSSE fait une analyse des conditions de reprise des cours le 1er juin 2020 en pleine crise sanitaire après près de deux mois de confinement.

Le gouvernement a pris le 14 mai 2020, un certain nombre de décisions qui fixe la rentrée du 3e trimestre le 1er juin pour les classes d’examen et la date de la prochaine rentrée scolaire. Que pensez-vous de cette décision en pleine crise sanitaire ?

La décision gouvernementale de faire reprendre les cours le 1er juin prochain suscitent quelques interrogations et même des inquiétudes. Certes, le souci d’éviter une année blanche préoccupe toutes les parties. Toutefois, la protection des vies est la priorité des priorités. C’est d’ailleurs pourquoi, nous pensons, que le Gouvernement a annulé les festivités de la Fête du Travail le 1er mai et celles de la Fête du 20 mai. Cette dernière, je ne vous apprends rien est officiellement la plus grande fête nationale. Ne pas la fêter, c’est un acte que l’Etat ne peut prendre qu’à son corps défendant. Qui plus est, l’allègement du confinement pour beaucoup de Camerounais est synonyme de la fin de la pandémie dans notre pays, et ce en dépit de toutes les mises en garde. C’est donc dire que l’heure est grave tout simplement.

N’ayons pas peur des mots, pire encore, les chiffres des contaminés de la pandémie aussi ne cessent de croître. Le 15 mai, on en était officiellement à 2910 cas de contamination, 1697 patients guéris et 139 décès.18 mai, on est passé à 3319 cas de contamination dont 154 décès. Et ce n’est que l’arbre qui cache la forêt. Ce choix est donc empreint de paradoxe. En ce qui concerne la date de la rentrée de l’année scolaire prochaine, nous disons qu’elle est tout aussi surprenante. Le 5 octobre, c’est la Journée Mondiale de l’enseignant. Comment va-t-on gérer ces deux importants événements ? C’est donc un véritable « wait and see » !

Est-ce que les enseignants ont été consultés au préalable ?

Les syndicats n’ont pas été consultés. Et ce, parce que nos autorités ont toujours tendances à penser que tout se décrète. Or le décret n’est efficace que lorsqu’il y a aboutissement d’un travail participatif. Faire autrement, c’est mettre la charrue avant les bœufs ! Aussi, pensons-nous que, l’unilatéralisme ne nous aide pas du tout en pareille circonstance. C’est les syndicats qui sont sur le terrain. Et leur franc-parler aidant, il est loisible de dire qu’ils sont la meilleure source d’informations et de propositions. Les ignorer, ouvre une large porte au miss management. Situation qui dessert tout le monde et ne nous honore pas. Pour que les choses aillent dans le bon sens, il est indispensable de prendre le point de vue des syndicats en compte. Et comme, tout se passe sur haute instruction du Chef de l’Etat, nous espérons qu’il instruira le Gouvernement de tenir désormais compte des avis des syndicats.

Certaines mesures ont été édictées à cet effet. Les établissements scolaires ont-ils les moyens nécessaires pour appliquer ces mesures barrières ?

La prise de ses mesures par le Gouvernement est un pas dans la bonne direction que nous saluons. Toutefois nous voyons la bouteille à moitié vide car elles sont insuffisantes. Nous avons adressé une correspondance à Son Excellence Le Premier Ministre à ce sujet. Quant à la question proprement dite, il me semble qu’elle mérite d’être reformuler : les APEE ont-elles les moyens nécessaires pour appliquer ces mesures barrières ? Ces associations sont, en effet, de véritables mamelles nourricières des établissements scolaires notamment publics de nos jours. Certaines, pour couvrir leurs budgets, sont obligées de recourir à l’endettement. D’autres, ont justes de quoi couvrir leur budget. Rares sont celles qui ont un budget excédentaire. La situation n’est guère reluisante au niveau des structures privées. La majorité de ces dernières peinent à boucler leur budget. Si l’Etat ne prend pas ses responsabilités, il y a fort à parier que ces mesures barrières soient bâclées dans bon nombre d’institutions scolaires.

Les enseignants ont-ils été préparés aux exigences du protocole sanitaire défini pour limiter les risques de contamination du virus ?

Pas du tout ! Nous apprenons tout par les médias notamment les réseaux sociaux. Or, il eût été judicieux que l’on forme, ne serait-ce que, nos collègues des Sciences de la Vie et de la Terre à ce protocole. C’était d’autant plus urgent que beaucoup d’instituts scolaires n’ont pas d’infirmerie !

Est-ce que cette période sera suffisante pour couvrir le reste du programme de l’année scolaire 2019-2020, de ces classes d’examen ?

Cette rentrée, faut-il le rappeler, ne concerne que les classes d’examens. Certains enseignants pour plaire à la hiérarchie, vont prétendre l’avoir fini. Mais il faut questionner cette couverture des programmes. Est-elle quantitative ou qualitative ? Pour ceux qui vont le couvrir, il s’agira généralement d’une couverture quantitative. Quand on est à 100% de taux de couverture et moins de 30 % du taux de réussite, on doit humblement s’abstenir de déclarer qu’on a fini les programmes. Toutefois, ne vous inquiétez pas pour le taux de réussite. Il sera bon et même très bon. Au fait, la diplomite dont nous souffrons sera mise en œuvre pour nous contenter hélas !

Qu’est-ce qu’il faut à votre avis pour assurer la sécurité des élèves et enseignants et aussi pendant la prochaine rentrée ?

Nous avons écrit à Son Excellence Le Premier Ministre à ce sujet spécialement pour la rentrée du 1er juin et nous lui avons fait des propositions. Nous avons suggéré entres autres, que tous les établissements scolaires soient désinfectés avant le 1er juin, les masque de protection standardisés ainsi que les gels hydroalcooliques soient distribués aux enseignants, les syndicats des enseignants soient conviés à une table ronde sur la situation des classes intermédiaires du primaire et secondaire.  Pour la rentrée de l’année scolaire prochaine, nous prendrons le temps de réfléchir en fonction de l’actualité pour mieux réagir.

Certains enseignants vacataires revendiquent encore leur salaire du mois d’avril. Comment expliquer cette situation ? Est-ce qu’elle pourra entraver cette reprise ?  

Cette préoccupante situation s’explique par quatre principales raisons. D’un, l’abandon par l’Etat de cette catégorie de personnels aux APEE ; des deux, la cupidité de certains bureaux d’APEE et/ou de certains chefs de structure ; des trois, le bafouement des droits et de la dignité de cette catégorie de personnel par certains chefs de structure et/ou bureaux de certaines APEE ; et des quatre, la tension de trésorerie que vivent certaines APEE. Nous avons aussi adressé une correspondance à Son Excellence Le Premier Ministre à ce sujet. Si rien de spécial n’est fait pour les vacataires, il y a fort à craindre que leur manque de motivation, soit l’une des causes de perturbation de cette rentrée. L’une des causes, et permettez-moi d’être un peu hors sujet par rapport à la question, parce que les enseignants fonctionnaires ou contractuels majoritairement, eu égard à l’actualité, ont la peur au ventre. Il en est de même de la majorité des parents. C’est un peu comme une atmosphère de sauve-qui-peut.

Réalisé par M.L.M

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