Covid-19 : A Douala, la prise en charge des personnes vivant avec le VIH piétine
les antiretroviraux

La peur de s’exposer à la Covid-19, pousse les patients, estimés à 59 439 dans le Littoral sur environ 530 000 que compte le Cameroun, à éviter les centres de prise en charge.    

Sur une table installée dans l’une des pièces du siège de l’Association des Frères et sœurs unis pour l’espoir et la solidarité (Afsupes), une association de lutte contre le Vih-Sida basée à Douala, Serges Evodo a rangé une pile de documents. Il est environ 11 heures, ce lundi 11 août 2020. Ce dispensateur communautaire des antirétroviraux (ARV) passe en revue les carnets médicaux des personnes vivant avec le Vih-Sida (PVVIH) en attendant un potentiel patient. Dans un coin de la pièce, les cartons de médicaments y sont rangés, et quelques boîtes contenant les molécules, sont disposées dans un placard collé au mur.

De toute la matinée, seulement trois patients sont venus retirer leurs antirétroviraux. « Avant la pandémie, à une heure pareille, il devait y avoir une ou deux personnes en attente dans la salle d’accueil. Quand je constate qu’un patient n’a pas honoré à son rendez-vous, je l’appelle pour le lui rappeler et l’inciter à venir récupérer son médicament », renseigne serges.  Pour autant, déplore-il, ils se font toujours désirés. Avec une file active (Personnes vivants avec le Vih et suivies) de 334 patients, le centre connait un « ralentissement de la fréquentation ». Il est passé d’une moyenne de 20 à 10 patients par jour.  « Ils ont toujours des raisons pour ne pas honorer leur rendez-vous. Soit, ils ont voyagé ou avaient des réserves… Avant la Covid, ils respectaient les rendez-vous », souligne Maurice Abina le président de conseil d’administration de l’Afsupes.

Selon Anne, détectée séropositive en 2015, la peur de se faire contaminer peut expliquer l’abandon des hôpitaux. Habillée d’un pantalon rouge avec un t-shirt blanc, Anne a dissimule son visage sous son masque de protection qui lui arrive quasiment aux yeux. Ce mardi 11 août, cette jeune femme s’est péniblement rendue à l’Hôpital Laquintinie, le plus grand centre de prise en charge dans la ville de Douala avec près de six mille patients de la file active, pour s’approvisionner.

Au couloir qui sert de salle d’attente, une dizaine de personnes, attendent d’être servis. Dans une autre pièce, l’infirmier appelle progressivement les patients, qui récupèrent leur médicament, les débarrassent de leur emballage avant de s’en aller aussitôt. Anne et trois autres femmes, discutent en attendant leur tour. « J’avais mes provisions pour deux mois qui finissent bientôt. Donc, malgré ma peur je suis néanmoins venue m’approvisionner en médicament. Ça va vite, nous ne sommes pas nombreux aujourd’hui, comme d’habitude », relève-t-elle.

A en croire Maurice Abina, la covid-19 a eu un impact au niveau des formations sanitaires et des associations à base communautaire. « Les patients ne se rendent plus dans les hôpitaux de peur d’avoir la Covid-19. Les ARV sont un traitement de tous les jours.  Lorsque le patient va l’hôpital pour son suivi, il permet au médecin de lui faire une évaluation physique.  La prise en charge implique la charge virale et la santé du patient qu’il faut vérifier. Ceux qui n’y vont plus sont en rupture des ARV. La rupture ne se situe pas au niveau de l’hôpital comme c’est souvent le cas, mais au niveau du patient lui-même. Ils peuvent passer de la charge virale indétectable à détectable », craint-il.

Stratégie

A l’antenne régionale du Comité National de Lutte contre le Sida pour le littoral (CNLS), pour éviter les ruptures chez les patients, en plus de la « dispensation multi-mois, une stratégie avancée a été mise sur pied », pour palier à la fuite des patients dans les hôpitaux, selon une source. Elle permet aux accompagnateurs psychosociaux de se rapprocher des patients afin de les ravitailler en médicament.

La directrice du marketing institutionnel et de la communication, Marie Chantal Awoulbe, du Réseau Camerounais des adolescents et jeunes positifs (RECAJ+) qui compte plus de 500 membres, relève que malgré le vent de panique observé chez les jeunes séropositifs qui fuyaient les hôpitaux au début de la pandémie, ils ont fini par s’adapter à la situation.  « Les jeunes sont normalement suivis dans les formations sanitaires. C’est vrai qu’il y a parfois des ruptures de médicament. Ceux qui prennent le traitement pour trois mois, on leur donne juste pour un mois., mais ceux qui ont le même protocole s’entraident en cas de besoin. Il y a parfois un protocole qui peut manquer, et on est obligé de le substituer par   un autre   qui pour la plupart existe sur la molécule de bébé. Il faut prendre plusieurs comprimés pour avoir la dose adulte. Il y a des difficultés, mais on s’en sort », confie un adolescent de Yaoundé.

D’après ce réseau, une enquête réalisée auprès des jeunes des différentes régions du pays révèle que certains adolescents pour avoir accès à leur traitement dans certaines régions, subissent des chantages des personnels de santé qui leurs demande des faveurs sexuelles et/ou financières pour avoir leur traitement, pourtant gratuit. « Au Centre, nous n’avons pas ce type de problème. Dans les régions comme l’Ouest, l’Est ou le Nord, c’est fréquent. Nous avons une jeune qui a fait 3 mois à Maroua sans traitement parce que c’était payant, et elle n’avait pas les moyens financiers.  Actuellement elle est souffrante et hospitalisée.  On demande à un jeune, 5000 F Cfa par exemple, pour une seule boîte de médicament au Nord. Nous essayons tant bien que mal de trouver des solutions. Le gouvernement doit se pencher sur les problèmes des adolescents et prendre en considération leur avis dans leur prise en charge », recommande cette association.  Le Cameroun compte environ 530 000 personnes vivant avec le VIH, avec seulement 70% sous traitement antirétroviral.

Marie Louise MAMGUE

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