Extrême-Nord : La Covid-19 expose la région à une insécurité alimentaire
Source- MINADER_E-N_DataViz by ADISI-Cameroun

Selon la délégation régionale du MINADER de l’Extrême-Nord, les stocks des ménages sont fortement entamés et les prix des aliments de base dans les centres urbains sont restés élevés depuis le mois d’avril, en raison de la baisse de l’approvisionnement du marché causée par la réduction des flux commerciaux.

En plus de l’agriculture, Baba vit des bénéfices issus des financements qu’il octroie à certains cultivateurs de Djolao dans l’arrondissement de Maroua 3e à l’Extrême-Nord du Cameroun.  Mais cette année, ce père de famille peine a récupéré son investissement. « Pendant la saison sèche, je finance les activités des cultivateurs d’oignons et de tomates. A la récolte, il me remette le produit. Si le prix est bon, je tire un peu de bénéfice. Avec la Covid-19, certains débiteurs n’ont pas pu me rembourser, puisque les prix ont tellement chuté sur le marché. Ils ont juste récupéré l’argent de leur intrant », explique ce créancier.

La fermeture des frontières à cause de la pandémie Covid-19, a en effet bloqué les transactions vers les pays voisins et les autres régions du pays. « Les oignons par exemple ne sont plus exportés. Les cultivateurs sont obligés de vendre à vil prix juste pour écouler leur produit. Le sac vendu à 80 mille, coûte 40 mille F Cfa cette année », déplore cet agriculteur.

Au village Yamagoule, dans la commune de Tokombéré, département du Mayo-Sava, Bardoum Madara, un agriculteur de 33 ans a dû abandonner près de la moitié de sa production de coton, sur une superficie de 5000 m2. Une production évaluée à environ 2 tonnes de coton, qui valent plus de 300 mille F Cfa sur le marché local. En effet, avec les mesures barrières imposées par la crise sanitaire, ce père de 9 enfants a manqué la main d’œuvre pour entretenir cette partie de sa plantation. Une situation que craint Baledjou Chete, agriculteur et éleveur, qui a cultivé le mil, les arachides, le coton et le sorgho, au moment de sa récolte.

« La plupart des champs sont abandonnés. En plus des fortes pluies, la solidarité sociale qui existe dans le milieu agricole a disparu, tout simplement parce que les liens sociaux se sont brisés avec la distanciation sociale. Avant les habitants s’entraidaient pour cultiver, sarcler et récolter leur produit. Mais maintenant chacun se débrouille seul de son côté, la Covid-19 a rompu cette chaine de solidarité qui permettait aux agriculteurs locaux d’avoir une main d’œuvre conséquente et de sauver leur production », déplore Jean Paul Dounia Formateur et directeur adjoint de la maison des paysans à Tokombéré.

Cet animateur communautaire accompagne au quotidien les acteurs agricoles dans ce département qui compte plus de 78 mille exploitants agricoles actifs, selon la délégation régionale de l’Agriculture et du développement rural ((DRADER). D’après son analyse, la production locale est en baisse, tandis que les prix sur le marché ont considérablement augmenté.  Le prix de 100 g de mil par exemple, est passé de 6 mille F Cfa à la même période en 2019 à 18 mille F Cfa en 2020 et les arachides de 500 F Cfa à 1000 F Cfa le sac de 2,5 kg. « Il n y’a plus assez de mil au marché. Les gens réservent leur production pour l’autoconsommation », confie Baledjou Chete.

Déficit

A en croire Amadoua Lawal, le président du Gic Narral Remoobe E Ganjore, basé à Maroua 3e qui regroupe une dizaine de producteurs de coton et de céréale, les producteurs subissent une baisse importante de production. De 1,5 tonnes minimum par hectare, ils se retrouvent en cette période de crise à 600 tonnes. « Avant nous vendons le sac de 100 kg à 18 mille F Cfa, maintenant le même sac oscille entre 14-15 mille F Cfa. La Covid-19 a renversé tout le programme, même les prévisions de 4 tonnes par hectare visées, n’ont pas été atteintes. Nous sommes passés de 1,8 tonnes à 600 tonnes. Nous avons cultivé près de 3 ha en 2019. En plus de la Covid, les inondations ont réduit davantage notre production. Nous avons à peine récolté 13 sacs de maïs soit moins de 500 Kg alors que nous pouvons, si toutes les conditions étaient réunies disposer d’au moins 3 tonnes par ha », déplore-t-il.

Source- DR MINADER_E_N_DataViz by ADISI-Cameroun

Depuis juillet 2020, indique Famine Early Warning Systems Network dans son rapport « Perspective sur la sécurité alimentaire », les prix des denrées alimentaires ont augmenté au-delà des niveaux habituels, le sorgho et le maïs se vendant respectivement 46-60 pour cent et 30-47 pour cent plus cher qu’en juillet 2019. Bien que les prix actuels soient encore au-dessus de la moyenne, le sorgho et l’arachide enregistrent des baisses de 17 pour cent et 18 pour cent par rapport aux trois derniers mois.

Bien que l’effet de Covid-19 ait été généralement minime sur la campagne agricole principale de 2020, relève cette source, les prix des intrants ont augmenté, en particulier dans les zones rurales en raison des restrictions de mouvement. Malgré les récoltes, les prix des aliments de base dans les centres urbains sont restés élevés depuis le mois d’avril, en raison de la baisse de l’approvisionnement du marché causée par la réduction des flux commerciaux des zones rurales vers les zones urbaines et sur le corridor Douala-Maroua-Kousseri et les corridors Maiduguri-Maroua et Maiduguri-Kousseri en raison des fermetures de frontières liées au Covid-19, la rareté artificielle créée par certains grossistes.

Sécurité alimentaire

En outre, les perturbations des chaînes d’approvisionnement locales causées par les fortes pluies et les coûts de transport élevés liés aux Covid-19 ont des répercussions négatives sur l’approvisionnement en maïs du Nord et de certaines parties de Mayo Tsanaga, ainsi que sur l’importation de sorgho et de riz au Cameroun en provenance du Tchad et du Nigeria, qui est typique pendant la saison de soudure. « Les stocks des ménages ont été fortement entamés dans la zone méridionale, suite à la demande grandissante des zones urbaines et péri-urbaines pendant la période de mars à mai 2020, laissant la situation préoccupante dans certains départements », note Benoît Bayang, sous-délégué régional chargé de la promotion de l’Agriculture et du Développement rural

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En plus des pénuries alimentaires typiques qui accompagnent la période de soudure, regrette-t-il, la tendance actuelle des prix a une implication majeure sur la sécurité alimentaire actuelle des ménages pauvres de l’Extrême-Nord, les exposant encore davantage à l’insécurité alimentaire.

Cette crise n’épargne pas le secteur d’élevage, qui occupe une bonne brochette des habitants de cette région. Selon Alioum Sadou, éleveur au quartier Kongola Djolao à Maroua 3e ce secteur  traverse l’un de ses plus grands troubles. Le prix d’un bœuf a chuté de 500 à 300 mille F Cfa, tandis que le mouton passe de 100 mille à 50-60 milles F Cfa. Une situation, dit-il, engendrée par la fermeture des frontières et la baisse des flux commerciaux.

Travaux réalisé dans le cadre du projet d’ « Accès à l’information en période de Covid-19 » avec le soutien de Free Press Unlimited.

Marie Louise MAMGUE  

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