Justice : Plus de 700 mineurs écroués dans les prisons camerounaises
Source- AFJD_DataViz by ADISI-Cameroun

Moins de 200 de ces jeunes privés de liberté au Cameroun sont déjà fixés sur leur sort, tandis que plus de 500 attendent leur sentence derrière les barreaux.

Couché sur un banc, Blaise se laisse bercer par la sérénité des lieux. Il est environ 14 heures ce mardi 4 novembre 2020 au Centre d’accueil de la Chaîne des Foyers Saint-Nicodème de New-Bell dans l’arrondissement de Douala 2e.  Le garçon d’une quinzaine d’années vêtu d’une culotte noire et d’une chemise berge négligée est imperturbable.

Arrivé dans la matinée, cet enfant de la rue aura la possibilité de faire sa toilette, manger, et surtout s’éduquer. Une bibliothèque est d’ailleurs mise à leur disposition. Le Foyer prend toutes les dispositions, explique Jean Didier Mbiatheu, chef de projet Action éducative en milieu ouvert, pour les encourager à quitter la rue. Blaise fait partie des mineurs identifiés en observation qui bénéficieront d’un suivi qui leur offrira en cas de bons résultats, un accès au Foyer PK24, une Ferme de la Chaine, destinée à leur encadrement et formation.

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Cependant, leur arrivée au Foyer ne garantit pas toujours un retour à une vie normale. « Ce ne sont pas tous les mineurs qui sont réceptifs, il y en a qui sont vraiment sceptiques », décrire Jean Didier Mbiatheu. Le Foyer ne se limite pas à l’encadrement des mineurs de la rue, il assiste également ceux en conflit avec la loi, qui sont déjà en prison ou les ex-détenus. Cette organisation encadre en moyenne 100 jeunes identifiés par an, minimums 40 mineurs, dont une vingtaine à la prison centrale de Douala.

Infraction

Dans les rues de Douala, ils sont nombreux les mineurs qui en ont fait leur nid. Ce sont, explique cet éducateur, les aventuriers, les victimes de guerre, les réfugiés et depuis quelques années, de nombreux déplacés internes qui fuient la crise socio-sécuritaire qui sévit dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest. « Ces jeunes de la rue, même ceux qui partent de la zone anglophone, se retrouvent sans ressource et s’exposent à certaines infractions. Il y a aussi l’influence du milieu, les mauvaises compagnies, la négligence parentale qui poussent les jeunes à commettre des délits », explique une source à la Délégation régionale des Affaires Sociales pour le Littoral.

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Selon elle, les mineurs en conflit avec la loi, majoritairement âgés entre 14-18 ans, ne se recrutent par seulement dans les rues, mais également en famille et dans les établissements scolaires. « Les cas de mineurs en infraction sont fréquents.  Il y en a dans les commissariats, les établissements scolaires qui sont des auteurs présumés de vol, de viol, de détention de stupéfiant, d’homicide. La loi couvre et protège les mineurs.  Une fois qu’ils sont aux prises avec la justice, les services sociaux enclenchent la procédure pour les accompagner », soutient-cette source qui n’a pas révélé les statistiques.

Tribunal

A la division régionale de la Police Judiciaire du Littoral, 30 mineurs, dont 5 filles en 2019 et près de 28 en 2020, impliqués dans diverses infractions ont été arrêtés, et environ 17 traduits en justice. Ils sont principalement accusés de vol, de consommation de stupéfiants, vagabondage et préparatifs dangereux, violation de domicile et voie de fait. « Nous enregistrons plus de mineurs qui sont des victimes », souligne une source de cette unité.

Au tribunal, explique Me Robert Batamag, Greffier des cours et tribunaux au tribunal de Première instance de Douala Bonanjo, les dossiers des mineurs en conflit avec la loi sont transmis chez le juge d’instruction. « Après l’instruction de son dossier, l’information judiciaire qui se passe en cabinet du juge d’instruction, peut être clôturée par une ordonnance de non-lieu, de non-lieu partiel ou par un renvoi par devant le juge de jugement. Dans ces deux derniers cas, le dossier est transmis à l’audience aux fins de jugement. L’audience des mineurs se fait en cabinet devant un juge de jugement qui se prononce en termes de condamnation. Il y a des condamnations de peine privative de liberté, assorties de sursis ou pécuniaires », explique-t-il. Toutefois, les placements dans des centres éducatifs sont régulièrement privilégiés, souligne le service social.

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Ce tribunal a enrôlé 7 affaires de délinquants juvéniles en 2018, 8 en 2019, dont un a écopé de 41 mois de prison ferme, et 16 depuis janvier 2020, dont une affaire pendante et un condamné à 6 mois de prison pour recel. « Il est difficile de donner une moyenne mensuelle des procédures concernant des mineurs en information judicaire. Ce sont majoritairement les garçons, généralement poursuivis pour atteinte à la fortune ou à l’intégrité physique, outrage à la pudeur, détention et consommation de stupéfiant », relève Jules Lucien Mikandjo, chef section correctionnelle du tribunal de Première instance de Douala Bonanjo.

Prison

A Douala, les mineurs qui écopent d’une peine privative de liberté sont incarcérés au quartier des mineurs à la prison centrale de Douala.  39 mineurs, dont 36 prévenus, 3 condamnés (une fille), selon l’Action pour l’épanouissement des femmes démunies et des jeunes détenus (AFJD), sont écroués dans ce pénitencier sur les 77 que compte la région du Littoral. C’est au total, 762 mineurs, dont 579 prévenus avec 3 filles et 177 condamnés avec 3 filles qui sont logés dans les prisons camerounaises. « Très peu de prisons ont un quartier uniquement pour les mineurs. Les filles mineures sont incarcérées au quartier féminin.  80% de nos prisons ont plutôt les cellules (strictement différent du fait qu’il faille séparer, voire même isoler les mineurs des majeurs). Il y va de soi que la proximité avec les bandits de grand chemin favorise des fréquentations néfastes pour leur reconversion », déplore Paule Eliane Meubeukui, la coordinatrice de cette organisation.

Eliane est une habituée des milieux carcéraux locaux, en raison des actions de l’Afjd en faveur des jeunes prisonniers depuis 2010. Bien qu’elle encourage les efforts du gouvernement en faveur de cette couche vulnérable, elle pense qu’un accent doit être mis sur le suivi et l’encadrement juridique, administratif et social de ces jeunes. « Ces mineurs ne sont vraiment pas accompagnés. C’est la société civile qui essaye de les encadrer au quotidien », déplore-t-elle. L’Afjd recommande entre autres, à l’administration pénitentiaire, d’appliquer le code de procédure pénale en ce qui concerne la justice des mineurs ;  invite le ministère de la Jeunesse et de l’Education civique d’impliquer la société civile dans leur programme d’éducation à la citoyenneté active afin de porter le plaidoyer pour la prise en charge  et la réinsertion des mineurs ; milite pour une  éducation  de masse  sur la situation des mineurs en milieu carcéral pour apprendre  à la population  à les soutenir.

Marie Louise MAMGUE

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