« Pratiquement 90% de tous les secteurs seront impactés »
David KENGNE, expert en micro-finance et DG de Microfinance Academy

David Kengne Directeur général de Microfinance Academy, Expert en microfinance, évalue l’impact de la crise sanitaire au Cameroun, engendrée par la pandémie du COVID-19 dans les secteurs bancaires et des PME.

Les secousses du Covid-19 sont-elles déjà perceptibles chez les PME locales ? Si oui comment se manifestent-elles ?

Bien évidemment, les conséquences du Covid-19 sont déjà perceptibles chez les PME/PMI. Tout est presque au ralenti. Une bonne partie du personnel est mis au chômage sans revenus. En dehors de certains secteurs d’activités comme les hôpitaux, les pharmacies, tous les autres secteurs d’activités tournent à leur régime le plus bas. Et ce phénomène concerne près de 90% des secteurs d’activité au Cameroun.

Des spécialistes s’accordent à dire que le secteur bancaire va également subir de plein fouet les conséquences du Civid19. Comment vont-elles se manifester ?

Effectivement, les secteurs bancaires et de la microfinance ne seront pas épargnés. Le Covid-19 aura un impact considérable sur le portefeuille de crédit qui se trouvera détérioré en raison de l’inactivité dans pratiquement tous les domaines. Ceci s’explique simplement dans la mesure où les clients qui ont emprunté de l’argent ne produisent plus. Et quand bien même ils peuvent arriver à produire par des moyens contournés, ils ne pourront pas vendre parce que la plupart des magasins et grandes surfaces sont fermés.

Le niveau des dépôts de la clientèle doit également baisser de manière considérable. Si le client ne vend pas, il ne peut non plus faire de dépôt sur son compte. Le Covid-19 induit de nouvelles charges que les banques et les établissements de Microfinance doivent intégrer dans leur compte d’exploitation notamment des mesures préventives et curatives contre ce fléau et de l’autre côté, les revenus vont plutôt baisser de manière drastique dans la mesure où le crédit qui est la machine à produire de l’argent dans les banques et les établissements de microfinance est grippé et du coup ne peut plus produire des revenus à son régime normal. Et bienvenue aux déficits.

Quels sont les secteurs d’activités chez les PME qui n’y échapperont pas ? Et pourquoi ?

En dehors de quelques rares secteurs qui pourront être épargnés par la force des choses, pratiquement 90% de tous les secteurs seront impactés à commencer par l’artisanat, les petites unités de transformation de nos matières première hors agroalimentaire et élevage dans une certaines mesures, les bâtiments et travaux public, les petits salons de coiffure (les clients auront peur d’aller se faire coiffer. Moi-même cela fait déjà deux semaines que je n’ai pas le courage de me faire coiffer parce que je ne me sens pas en sécurité), la fabrication et la vente des produits de beauté de toute nature, le secteur vestimentaire. Et parlant de l’agroalimentaire, l’impact sera acté du fait que l’agriculteur qui produit ne trouvera pas facilement d’acheteurs au bout du processus.

Le tout clôturé par le manque de financement ; car les banques et les établissements de microfinance seront désormais très sélectifs dans leur activité de crédit. Pour obtenir désormais un financement d’une banque ou d’un établissement de microfinance, il faudra montrer patte blanche. En d’autres termes, il vous faudra prouver à l’institution financière que vous pouvez produire tout en respectant les normes d’hygiène et de sécurité prescrites par l’Etat et trouver des acheteurs qui payent cash et dans les délais.

Bref, comme je l’ai dit plus haut, en dehors de quelques secteurs, tous les autres secteurs seront impactés au moins à 70%. La machine de production sera grippée et l’économie nationale tournera à son régime minimum.

Les 13 mesures prises par le gouvernement ne sont pas donc suffisantes pour amortir le choc dans le secteur bancaire et des PME ?

A mon avis, les 13 mesures édictées par le gouvernement sont des mesures préventives valables pour tous les secteurs d’activités. Il reste maintenant au gouvernement d’engager des négociations avec chaque secteur pris séparément pour envisager des mesures spécifiques pouvant aider chaque secteur à résister au choc du Covid-19 et surtout pouvoir se redéployer après la fin de l’épidémie, qui je le souhaite ne tardera pas à venir.

Avez-vous l’impression que ces secteurs s’organisent en dehors de l’État pour faire face à la situation ? Si oui en quoi faisant ? 

De toute façon, qu’ils veulent ou non, tous les promoteurs exerçant dans les différents secteurs touchés par la crise devront envisager des mesures pour les aider à amortir le choc dû au Covid-19.

Pour ce qui est du secteur de la microfinance qui est ma chapelle, je dois dire que les Professionnels travaillent depuis le déclenchement de cette pandémie aux côtés des pouvoirs publics et de l’Autorité de régulation (Cobac) pour faire face à la crise. C’est ainsi que les 13 mesures préventives instruites par le gouvernement ont été adoptées et intégrées dans un guide de gestion de la crise en vigueur dans tous les établissements de microfinance. Bien plus, certaines mesures spécifiques pour préserver la vie du personnel et des clients ont été adoptées par ces professionnels et ont fait l’objet d’une large diffusion auprès des établissements à travers le pays. Enfin, des mesures en vue d’assurer la continuité de l’offre des services financiers à la clientèle (mobilisation de l’épargne et octroi de crédit) sont en cours d’examen et seront adoptées par les différents organes délibérants et mises en application par les établissements de microfinance.

Dans tous les cas, je tiens à rassurer la clientèle des établissements de microfinance qu’elle continuera à bénéficier de tous les services financiers auprès de leur établissement de microfinance pendant toute la durée de la crise et même après la crise. J’invite seulement les clients/membres à respecter les mesures minimales d’hygiène instituées dans les établissements de microfinance en conformité avec les prescriptions gouvernementales pour préserver la santé et la vie de tous.

Les épargnants devraient-ils retirer leur argent ? Dans les banques ou les EMF ?

Au contraire, c’est en cette période de crise qu’il faut le plus faire confiance aux banques et aux établissements de microfinance. Car, quelle que soit l’issue de la crise, les coffres forts des banques et des établissements de microfinance sont les seuls lieux les plus sûrs où les clients pourront sécuriser leurs fonds et les retrouver après la crise. C’est d’ailleurs cette confiance, qui justifie le niveau sans cesse élevé du niveau de trésorerie observé dans les banques et les établissements de microfinance depuis le déclenchement de la crise du Covid-19.

J’invite également les clients/membres des établissements de microfinance à ne pas tomber dans le piège qui consiste à changer d’activité ou à s’essayer hâtivement dans de nouvelles activités sans bien étudier la nouvelle activité parce que leur ancienne activité fonctionne au ralenti. Je vous conseille d’aller garder votre argent dans les banques ou dans les établissements de microfinance au lieu de chercher à l’investir dans de nouvelles activités que vous ne maîtrisez pas.

Quelles recommandations formulez-vous à l’endroit du gouvernement d’une part, du secteur bancaire et des PME d’autre part ?

Pour le secteur bancaire et de la microfinance, en plus des mesures préventives édictées par le gouvernement, il faudra leur donner des moyens pour continuer à offrir les services financiers à la clientèle pendant et après la pandémie. Pour cela donc, je propose les mesures urgentes suivantes à mettre en œuvre par l’Etat et la Beac pour la continuité de l’offre des services à la clientèle. I) le règlement par l’Etat des dettes intérieures surtout celles pour lesquelles l’état a délivré une attestation de virement irrévocable auprès des banques et établissements de microfinance. Lorsque je parle de l’Etat, il s’agit ici de l’Etat central et tous ses démembrements (Villes, mairies, entreprises parapubliques et autres….), ii) le rachat de tous les crédits impayés dus au Covid-19 et éventuellement  leur transfert sous certaines conditions à la Société de Recouvrement des Créances; iii) le gel des contrôles fiscaux ; iv) la mise à disposition des établissements de microfinance exerçant en zones rurales de lignes de financement directes et bonifiées en faveur de l’agriculture et de l’élevage qui constituent de nos jours les secteurs qui seront très peux impactés par le Covid-19 ; ceci est d’autant normal que même sans être actives, les populations camerounaises toutes classes sociales confondues doivent continuer à se nourrir pendant le confinement total ou partiel. Ne dit-on pas que le ventre affamé n’a point d’oreille ;  v) la suppression des impôts et taxes dus pendant toute la durée de la pandémie, vi) l’augmentation du volume de ressources mises à disposition des banques commerciales classiques pour soutenir leur trésorerie et renforcer leurs capacités de financement aux PME/PMI; vii) l’ouverture sans délai pendant toute la durée de la crise d’un guichet microfinance auprès de la BEAC pour aider les établissements de microfinance à faire face à la crise de liquidité à laquelle ils peuvent être exposés viii) En plus des mesures que la Cobac est en train de prendre pour accompagner les banques et les établissements de microfinance pendant cette crise, elle devra également mettre en place des règlements spécifiques qui encouragent les opérations de fusion/absorption après la crise du Covid-19 ; car il faut le reconnaître, après cette crise les secteurs bancaire et de microfinance s’en trouveront affaiblis. Et les fusions/absorption pourront constituer des pistes pour relancer la croissance en vue de rester pérenne et compétitif dans la durée. Vii) J’invite enfin la Cobac pendant toute la durée de la crise, à être moins regardant sur certaines normes telles que celles liées à la division des risques, à la trésorerie, au refinancement, Pour ce qui est du guichet Microfinance à ouvrir à la BEAC, il faudra au moins 100 milliards de liquidité pour soutenir les EMF pendant cette pandémie sous forme de ligne de crédit ou de prêt à taux d’intérêt zéro, etc…

Je suis convaincu que les mesures susvisées pourront aider la plupart des secteurs d’activités impactés à résister au Covid-19 et à pouvoir redémarrer après la crise qui à mon avis, arrive à son terme d’ici à fin juin 2020.

Entretien réalisé par Paul- Joel Kamtchang

 

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