Agriculture : A Malantouen, le maraichage paralysé à plus de 70% par la Covid-19

Après la crise économique imposée par la Covid-19, les producteurs locaux ont développé une entraide communautaire basée sur l’échange des services et produits pour survivre dans cette commune du département du Noun dans la région de l’Ouest à 90% agricole.

Sur une superficie de plus de 3 hectares, Dieudonné Lamaré, agriculteur et phytosanitaire, exploite juste 500m2 pour la culture des choux et un quart pour le maïs. Sans la pandémie de Covid-19, tout cet espace situé au quartier Mange-Koutou dans la commune de Malantouen, département du Noun, région de l’Ouest, regorgerait alors d’une multitude de produits maraichers. Mais la pandémie a contraint cet agriculteur à réduire l’espace cultivable. « Je produisais près de 12 tonnes de choux et de pastèque. Une tête de choux coûtait 300-400 F Cfa, mais avec la crise, j’étais obligé de vendre sur le marché local à 150 F Cfa. Pourtant, une camionnette nous revenait à près de 800 mille F C Fa à Douala. Nous sommes découragés. Nous ne produisons plus en grande quantité », dit-il. En pleine saison pluvieuse, la rareté des pluies dans cette localité de plus 45 mille habitants, dont 90% agriculteurs, n’est pas la pire crainte des agriculteurs, du moins pour ceux qui produisent encore.

En effet, leur vie a pris une autre tournure depuis que la maladie à coronavirus a débuté au Cameroun en mars 2020.  En plus du confinement général, la pandémie a engendré des restrictions nationales et internationales qui ont eu des répercussions énormes dans tous les secteurs d’activités, affectant également les agriculteurs de ce village enclavé, situé à près de 2 heures de route de la ville de Foumban. « Nous avons beaucoup de producteurs qui ont abandonné leur plantation parce qu’il n’y a plus de clients, et les prix ont chuté. Les agriculteurs ont abandonné des parcelles de tomates, de choux parce qu’il n’y avait pas la possibilité d’écouler les produits avec les frontières fermées, surtout au Gabon et en Guinée-Equatoriale qui sont les principaux clients. Nous continuons de souffrir des répercussions de la crise sanitaire qui a affecté à 65-70 % ce secteur. Les pertes sont estimées à plus de 500 millions F Cfa », explique Njimbouot Amidou, le délégué d’arrondissement de l’Agriculture et du Développement Rural de Malantouen. Il relève que cette localité est le nouvel eldorado des producteurs des produits vivriers et maraîchers, qui partent de Foumbot, Magba et autres localités de la région.

Abandon

Njankouo Ahamadou, le président de l’Union des Gic des agriculteurs et éleveurs pour la lutte contre la pauvreté en milieu rural de Noun (UGAELUCOPAMR) a vu sa production de pépinière chutée de plus de 80%. Avant la pandémie ce pépiniériste produisait en moyenne mensuelle 80 mille plants, toutes variétés confondues. « Tout ce que j’ai produit à l’arrivée de la Covid-19 a péri, parce que les agriculteurs ont cessé leur activité. Les plants maraîchers ont un cycle de vie de 2 à 3 mois maximum. Je vendais en moyenne 500 mille F Cfa par mois, aujourd’hui je réalise à peine 80 mille F Cfa, et la situation perdure », déplore Njankouo Ahamadou.

Chaque jour qui se lève, Moulioum rêve écouler sa cargaison de piment. Depuis plus d’un an déjà, ce cultivateur conserve plus de 40 seaux de 20 litres de piment qu’il n’a pas pu vendre plus tôt à cause de la chute drastique des prix. Le seau est passé de 3000 à 700-1000 F Cfa. Ce fruit qui se vend généralement frais a été séché pour faciliter sa conservation. « Les acheteurs viennent régulièrement du Nigeria. Mais ils ont interrompu leur voyage depuis la fermeture des frontières », apprend-t-on.   Dans ce village qui s’étend sur une superficie de 1021 Km2 selon son ancien maire, Mboumbouo Aliou, aucun agriculteur n’a été épargné. Plusieurs ont jeté les houes à cause de l’instabilité du marché.  « Le véritable problème c’est au niveau du maraîchage. Les producteurs ont investi d’énormes capitaux et n’ont rien obtenu. Le marché local ne pouvait pas consommer toute la production. Certains ont complètement abandonné leur ferme », affirme Tchuente Magloire, chef de poste agricole Matachom.

Région

En plus des acheteurs qui viennent des pays voisins (Nigeria, Gabon, Guinée-équatoriale), ces agriculteurs ont perdu tous leurs partenaires et organisations externes qui les accompagnent dans leur activité, à travers des appuis financiers, des formations et autres. « Toutes ces organisations ont disparu. Nous avions avant la pandémie plusieurs programmes de formation sur des techniques culturales, des projets de développement des champs communautaires qui permettaient d’aider des agriculteurs avec des semences améliorées. Mais rien n’est plus opérationnel », regrette Dieudonné Lamaré.

En attendant une action gouvernementale, les agriculteurs de Malantouen ont développé un système d’entraide communautaire qui repose sur l’échange des services et des produits. « Nous n’avons plus la possibilité et les moyens d’avoir de la main-d’œuvre ou des financements. Nous sommes donc obligés de nous entraider. Pour produire par exemple, si je dispose les pépinières, j’en offre à un cultivateur qui a des difficultés financières, en contrepartie il peut me servir de main-d’œuvre ou m’offrir les produits de son champ », explique le président de l’UGAELUCOPAMR, une organisation qui compte plus de 180 membres. Selon ce leader communautaire, ce programme a été développé après les ravages de la crise sanitaire, pour permettre aux agriculteurs de rester en activité.

A l’instar de Malantouen, c’est toute la région de l’Ouest, l’un des plus grands bassins de production agricole du pays, qui est paralysée par la pandémie de Covid-19. Selon la délégation régionale de l’Agriculture et du Développement Rural (Minader), la Covid-19 a eu un impact assez grave sur la production régionale et le pouvoir d’achat des agriculteurs. Entre mai et juin 2020, les produits ont connu leur prix les plus bas sur le marché. « Les producteurs de maraîchers ont l’habitude de faire des crédits pour rembourser à la fin d’année. Mais beaucoup de producteurs n’ont pas pu rembourser leur crédit. Beaucoup ont abandonné non seulement leur produit au champ, mais ont eu peur de produire cette année. C’est pour cette raison que les coûts des produits sont encore chers sur le marché à cause de la pandémie. En 2020, la pandémie a eu un effet négatif de plus de 70% sur les producteurs du maraîcher de la région avec une baisse de 50% de producteurs », explique Béatrice Kom, chef service régional des enquêtes et statistiques agricoles à la délégation régionale du Minader de l’Ouest.

Travaux réalisés dans le cadre du projet « Accès à l’information en période de Covid-19 au Cameroun avec le soutien de Free Press Unlimited ».

Marie Louise MAMGUE et Marthe NDIANG

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