Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique

la polarisation de la désinformation en Afrique

Des indicateurs montrent que la désinformation en Afrique se développe autour de deux facteurs majeurs. L’un international, qu’on qualifie d’ores et déjà de désinformation géopolitique et l’autre interne, qu’on appelle désinformation domestique Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. Dans cette analyse, nous tentons de modéliser ces deux aspects qui reposent essentiellement sur des signaux endogènes et exogènes aux Etat africains.

Les 05 au 06 octobre 2023, chercheurs, universitaires, société civile, journalistes et médias spécialisés dans la vérification de l’information/faits se sont retrouvés à l’université de l’Ile Maurice. C’était dans le cadre de l’Africa Facts summit piloté par Africa Check, la première organisation indépendante de vérification des faits en Afrique. D’autres partenaires de renoms accompagnaient l’initiative au rang desquels, CFI-medias l’opérateur media du Ministère français des affaires étrangères qui développe depuis 3 ans sur le continent, plusieurs projets de vérification des faits dont Désinfox-Afrique, l’International fact-checking network (IFCN) et l’un des géants mondiaux de la tech, Google.

Deux grandes journées de discussions et de réflexions sur la place qu’occupe le continent africain dans les grands enjeux géopolitiques de la désinformation et même de la mésinformation ont meublé cette rencontre. Une occasion de jeter un regard, sur les initiatives pour la plupart naissantes, de lutte contre la désinformation en Afrique anglophone et francophone. En réalité, des initiatives évoluant dans des contextes difficiles notamment en Afrique francophone où la recrudescence des coups d’Etat, annihile et phagocyte la gestion de l’information publique et l’inféodation des médias par les nouveaux tenants du pouvoir Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. Ceux-ci restent très réticents à l’égard de la presse notamment privée, et gèrent pour l’essentiel, la communication d’Etat à travers les communiqués des « juntes » au pouvoir.

S’il est vrai que le mode opératoire de la désinformation diffère selon qu’on soit dans le système anglo-saxon ou francophone, plus spécifiquement en Afrique subsaharienne, on constate un contraste en ce qui concerne la culture démocratique Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. En effet, celle-ci est plus poussée du côté anglo-saxon tandis que le système de gouvernance dans les pays francophones est de nature à précariser l’accès à l’information publique.

Africa facts Summit, édition de Maurice était surtout le moment de se conforter dans l’idée selon laquelle, l’Afrique est le principal champ de rivalité des grandes puissances depuis des lustres. Elle est à la fois actrice et victime de la désinformation/mésinformation. Pour autant, la table ronde sur les dynamiques et tendances de la désinformation dans le monde arabe, cas de la Tunisie et de la Libye, nous a conduit dans une réflexion profonde quant aux deux grands pôles de la désinformation sur lesquels l’Afrique est définitivement divisée ou polarisée Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. C’est en raison de sa position dans le monde et la nature des rapports des dirigeants et des dirigés qui appréhendent la démocratie et la gestion des libertés publiques sous un prisme globalement conflictuel.

Pour mieux comprendre ces pôles, nous tentons deux figures de modélisation de base que nous allons nommer 1 et 2.

  • Modélisation de base 1: Cameroun (contexte politique et sécuritaire), Tunisie (crise migratoire) et Gabon (jeu de chaise au palais)

Dans ces trois pays qui constituent des modèles assez représentatifs sur le continent où se développe la désinformation domestique, l’observation nous amène à comprendre que la désinformation est davantage interne Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. C’est-à-dire, alimentée par des facteurs endogènes. A titre d’illustration, au Cameroun, deux grands contextes soutenus par l’actualité évolutive du pays, alimentent la désinformation sous toutes ses coutures et son voisin, le discours de haine. Il s’agit en l’occurrence de :

  • La dernière présidentielle de 2018

Sous cette bannière, la haine entretenue par des clans politiques rivaux continue d’alimenter la vie des réseaux sociaux. La toile est complètement divisée, mettant au-devant, des rivalités ethniques et politiques autour du pouvoir. Avec des expressions comme « tontinard » et « sardinard » dont le Pr Mathias Owona Nguini, universitaire camerounais se revendique la paternité Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. La société camerounaise, reste très divisée quant aux méthodes de gestion du pouvoir central et même périphérique sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels. La présidentielle 2025 étant presque proche, ce qui sera bientôt la désinformation électorale/politique commence à se faire jour avec en arrière-plan, un remake de 2018.

  • La crise anglophone

Principalement alimentée par la diaspora depuis le début de 2017 dans le cadre de la phase violente de ce qui est appelée au Cameroun « la crise anglophone », la désinformation s’accompagne de discours de haine tantôt donnant l’impression à la face du monde qu’il s’agit d’une guerre anglophone/francophone, tantôt d’une crise socio-sécuritaire et même politique.

En tout état de cause, la dimension intentionnelle de la désinformation développée dans cette crise depuis bientôt une demi-dizaine d’années par les différentes parties prenantes, montrent s’il en était encore besoin, que la stratégie est de l’ordre de la propagande. Aussi bien du côté des séparatistes dont les tenants animent des pages sur des réseaux sociaux, que du côté des institutions régulières dont le but est de décrédibiliser l’ennemi. En témoignent par exemple, les nombreux communiqués du ministère camerounais de la défense régulièrement battus en brèche aussi bien par la société civile que les défenseurs des droits de l’homme. Les cas de Ngarbuh du 14 février 2020 ou encore du massacre de Kumba du 24 octobre de la même année, montrent encore s’il en était besoin, l’institutionnalisation de la désinformation pour ce que les politologues appellent la « raison d’Etat ». 

  • L’actualité ambiante

Elle est notamment marquée par l’actualité sociale, le sport plus spécifiquement le football, l’économie avec comme illustration, tout récemment la fusion du Groupement Inter patronal du Cameroun (Gicam). Ainsi, tout ce qui touche à l’actualité est de nature à créer la désinformation avec parfois, sinon régulièrement, un zeste de discours de haine. Il s’agit le plus souvent, des attaques à caractère tribaliste.

Les espaces de débats, notamment, ceux des médias classiques comme la télévision et la radio, sont des terreaux fertiles à la désinformation. Depuis une demi-dizaine d’années, la fragilité économique des médias au Cameroun, a laissé place à la floraison des émissions de débats dont les panélistes sont couramment appelés « débatteurs du dimanche ».

L’imposition de certains panélistes par des lobbies, le faible renouvellement de ceux-ci, la non-maîtrise des techniques de modération des journalistes, en rajoutent à ce tableau déjà suffisamment sombre de la désinformation Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. A tel point que quelque fois, des prises de parole des panélistes passées inaperçues le dimanche, deviennent virales et renforcent davantage la polémique une fois circularisées sur les réseaux sociaux. Il s’agit de l’œuvre des utilisateurs mal intentionnés qui n’hésitent pas à sortir le sujet de son contexte de départ.

Le cas de la Tunisie est étroitement lié à la crise migratoire que traverse le pays. Un narratif, d’après plusieurs documentations, est développé par le pouvoir en place. Lors de sa présentation au sommet Africa Facts Summit de l’Ile Maurice courant octobre 2023, Rabeb Aloui journaliste tunisienne et promotrice de BN Check, fait remarquer que l’impact de la désinformation sur les migrants d’Afrique subsaharienne en Tunisie est désolant. « Les migrants font souvent face à un déluge d’informations erronées et de stéréotypes, rendant leur voyage encore plus périlleux » Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. La désinformation a eu un impact dévastateur sur les migrants subsahariens en Tunisie, allant parfois jusqu’à provoquer des attaques et des violences, et ce, en grande partie en raison de la manière dont elle a amplifié les discours de haine créant au passage, un climat de méfiance et d’hostilité envers les communautés impliquées dans les migrations.

Pour autant, en Tunisie, les informations erronées ont alimenté la peur et la xénophobie envers les migrants subsahariens. Les individus qui croyaient à ces informations avaient tendance à voir les migrants comme une menace pour leur propre sécurité et bien-être, ce qui les a parfois poussés à des actes violents par crainte de l’« autre » Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique.

Les discours de haine amplifiés par la désinformation ont manipulé les émotions du public. Les informations fallacieuses ont souvent évoqué des scénarios fictifs alarmants, mettant en scène des crimes attribués aux migrants subsahariens. Cela a incité certaines personnes à réagir de manière excessive, parfois par la violence, par crainte de ces supposées menaces. Les médias sociaux ont été un vecteur essentiel de la diffusion de la désinformation et des discours haineux Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. Les fausses informations se sont propagées rapidement, créant des échos dans les communautés en ligne et renforçant les préjugés. Cela a contribué à une polarisation croissante de la société et à l’incitation à la violence.

Rabeb développe cette théorie à partir du discours populiste du Président Kaïs Saïed en Tunisie et son impact sur les migrants d’Afrique subsaharienne. La désinformation et la mésinformation peuvent encore marginaliser ces migrants vulnérables, les rendant plus susceptibles à la discrimination et à l’hostilité.

Quant au Gabon, ce qui est considéré comme un coup d’Etat le 30 Août 2023 a dévoilé quelques facettes de la désinformation dans ce pays voisin du Cameroun. Quoique utilisant des techniques embryonnaires de manipulation, moins sophistiquées, la désinformation développée pendant cette période n’avait pas d’enjeu en tant que tel. C’est le cas du debunking réalisé par le Calame au sujet d’une bière appelée « booster Oligui ». Les auteurs ayant profité d’une situation politique à des fins de marketing. La fausse réception du président déchu, Ali Bongo par l’actuel homme fort de Libreville debunké par DataCameroon. On a également constaté qu’un évènement ayant eu lieu au Gabon pendant la période électorale, a été sorti de son contexte au Cameroun pour tourner une communauté en dérision en raison de ses pratiques en matière de dote.

une vue des participants au sommet Africa Facts
une vue des participants au sommet Africa Facts

 

Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique Modélisation 2 : Burkina Faso, Mali, Niger, RCA

Cette modélisation est incarnée en Afrique par la désinformation développée par Wagner, bras séculier de la Russie qui chasse essentiellement sur les « terres françaises » en Afrique francophone notamment (ancien précarré). Elle développe une sorte de « guerre hybride » pour reprendre une expression d’Emmanuelle Macron, président de la république française. L’on constate que les pays victimes de cette forme de désinformation sont pour la plupart situés en Afrique de l’Ouest à l’exception de la RCA située en Afrique centrale Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. Ils ont par ailleurs en commun, la prise de pouvoir par des militaires hostiles à la France en dehors de la RCA dont le pouvoir est incarné par un civil issu des élections régulièrement tenues.

Le Niger s’est illustré courant juillet à septembre 2023 par la chute de son ancien dirigeant Mohamed Bazoum. Une désinformation sur son uranium a suffisamment alimenté l’actualité internationale, écornant au passage, l’image de la France, principal pays occidental victime de la désinformation en Afrique francophone.

Il faut surtout aller chercher dans une note analytique intitulée : « L’économie politique du contrôle des ressources naturelles au Sahel : uranium, production d’énergie nucléaire, pétrole et gaz, et gouvernance du Niger » publiée le 02 septembre 2023 par le chercheur camerounais Paul Simo. En effet, dans cette note conjoncturelle, la compilation des données des quantités d’uranium produites au Niger entre 2013 et 2020, montre une décadence constante sur 7 ans Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. Cette dernière montre l’éloignement de l’appétence de l’hexagone pour l’uranium nigérien. L’analyse des données utilisées dans cette fiche indique une disparité d’informations entre celles entretenues par une certaine opinion qui trouve son lit sur des réseaux sociaux sous la bannière de panafricanistes et les données officielles. Celles-ci concordent plutôt avec des informations de certains cabinets de veille informationnelle et stratégique.

En RCA, la pénétration russe depuis l’arrivée du président actuel de la Centrafrique, a fait développer une information hostile aux occidentaux jadis installés en maître dans ce pays parmi les plus pauvres de la planète selon la banque mondiale Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. La vraie fausse tentative d’assassinat du président Touadera en février 2022 attribuée en partie à la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca) et aux légionnaires français, témoigne de la brutalité de la désinformation dans ce pays qui tente de recoller les morceaux de son instabilité politique et sécuritaire.

L’analyse des captures d’écran publiées venues du Burkina Faso, puis du Mali et du Cameroun et d’autres pays d’Afrique de façon synchronisée, indique une organisation nébuleuse et une information mal montée, trahissant au passage, un cabinet noir derrière la manœuvre. Les éditions spéciales de la chaine Afrique Media trahissaient mal l’agenda caché Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique.

Ce qui frappe dans l’identité du réseau de partage des captures d’écran, est l’appartenance des auteurs au fameux concept de « panafricanisme ». Outre cet aspect, ce qui marque également, est le discours développé autour de cette affaire. Quoique la présence des soldats incriminés se faisait dans le cadre d’un déplacement de la Minusca, les éléments de langage utilisé étaient plus axés vers la France que la Minusca, pourtant constituée de plusieurs nationalités.

Ainsi donc, la modélisation de base 1 nous permet de théoriser la désinformation domestique qui se nourrit essentiellement de l’actualité et du contexte local Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. Tandis que la modélisation de base 2, nous amène à théoriser la désinformation géostratégique ou la désinformation internationale.

Autrement dit, la désinformation en Afrique est désormais articulée autour de 2 pôles majeurs, un pôle domestique ou interne majoritairement dominé par l’actualité nationale. Le pôle géopolitique quant à lui, est animé par des forces exogènes en interaction avec des phénomènes internes étroitement lié à politique et à l’économiques Analyse : Vers la polarisation de la désinformation en Afrique. Il s’agit en somme, d’un jeu d’intérêts savamment orchestré par des convoitises sous fond de stratégie concurrentielle.

Paul Joël Kamtchang, Datactiviste et spécialiste de la désinformation.

Mots – clés :

Désinformation

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