CEMAC : Menace sur les langues officielles (Partie 2)

CEMAC : Menace sur les langues officielles (Partie 2)

Régionalisation et Communautarisation du droit : risque de violation constitutionnelle par des entraves linguistiques aux recours du justiciable aux instances supranationales.

  1. violation constitutionnelle par des entraves linguistiquesDans les 3 dernières décennies, nous assistons à un véritable processus de régionalisation et de communautarisation du droit, dans l’espace de l’Afrique Centrale et de l’Ouest. Avant même d’atteindre une « continentalisation » du droit qui s’annonce avec la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAF), des domaines entiers du droit sont passés du champ du législateur national, à celui du régulateur régional ou communautaire. Cela a commencé avec le droit des affaires (OHADA), et le droit des assurances (CIMA) au début des années 1990. Pour la zone CEMAC, le champ d’intervention des textes et des institutions sous-régionales ne cesse de s’agrandir. Le droit bancaire et de la microfinance, la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, l’aviation civile, la marine marchande,violation constitutionnelle par des entraves linguistiques le droit de la concurrence – sont parmi ces domaines du droit qui relèvent progressivement du droit communautaire, et non seulement national.
  2. Plus loin encore, dans certains de ces regroupements juridiques, non seulement l’énonciation des règles du droit a été cédé au législateur communautaire ou sous-régionale, même les voies de recours s’exercent auprès des juridictions et instances supranationales. C’est le cas de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (pour le droit des affaires OHADA), de la Commission de la Concurrence CEMAC (pour le respect du droit de la concurrence), et de la Cour de Justice de la CEMAC (pour l’interprétation des textes de la CEMAC). Dès violation constitutionnelle par des entraves linguistiques que leurs règlements de procédure commencent à imposer des restrictions linguistiques, interdisant l’utilisation des langues pourtant reconnues comme langues de travail de ladite Communauté, il y’a des éléments palpables pour asseoir la conclusion qu’il y’a violation du droit d’accès à la justice, principe fondamental reconnu par le droit international conventionnel et coutumier. 
  3. Imposer que toutes les parties opérantes d’une procédure judiciaire communautaire doivent se tenir dans une seule langue (le français) consiste effectivement à refuser aux professionnels du droit utilisant principalement une autre langue officielle de la CEMAC (comme l’Anglais ou l’Espagnol) d’exercer dans leur langue officielle de préférence. C’est au fait, les interdire d’exercer leur métier dans une langue officielle, constitutionnellement protégé dans leur pays d’origine, et reconnu comme langue de travail par la Communauté.  Il est important de noter que violation constitutionnelle par des entraves linguistiques ces juridictions sont accessibles aux individus et personnes (physiques et morales) qui opèrent dans leur ressort. Elles ne sont pas limitées aux Etats : les citoyens et autres personnes qui subissent l’effet de leurs textes, doivent pouvoir accéder à ces juridictions. Le Règlement de Procédure de la Cour de Justice Communautaire de la CEMAC (2021) prévoit par exemple, dans son Article 8 :

« La Cour connaît, sur recours de tout Etat membre, de toute Institution, Organe ou Institution Spécialisée de la CEMAC ou de toute personne physique ou morale qui justifie d’un intérêt certain et légitime, de tous les cas de violation des violation constitutionnelle par des entraves linguistiques dispositions du Traité de la CEMAC et des textes subséquents. » 

  1. Au Cameroun, la Constitution prévoit en son article 1, alinéa 3 : « La République du Cameroun adopte l’anglais et le français comme langues officielles d’égale valeur.» Est-ce qu’un pays qui a opté pour ce principe constitutionnel peut céder une partie de ses pouvoirs régaliens en matière de justice à des instances sous-régionales ou supranationales de la CEMAC qui refusent d’entretenir des requêtes, mémoires, plaidoiries, conclusions et arrêts dans une de ces langues officielles du Cameroun, en l’occurrence l’Anglais ? Au-delà du risque de violation du droit interne s’ajoute la possibilité imminente que la même Cour de Justice Communautaire de la CEMAC sera appelée dans les prochains mois, à statuer sur la conformité de son propre Règlement de Procédure avec le Traité fondateur de la CEMAC. Car effectivement, c’est à cette Cour que revient la responsabilité de statuer sur la conformité des actes et instruments adoptés par les instances de la CEMAC avec son violation constitutionnelle par des entraves linguistiques Traité fondateur. Suivant l’adage que la charité bien ordonnée commence par soi-même, on se serait attendu à ce que la Cour de Justice Communautaire (organe de contrôle judiciaire des autres instances de la CEMAC) brille dans sa conformité avec le Traité fondateur de la CEMAC. Surement, elle aura l’occasion, lors d’un procès à ce sujet, de faire amende honorable. 

Le cout de fonctionnement des instances supranationales : une « jeune » Communauté de 60 millions d’habitants (CEMAC), peut-elle se permettre de fonctionner avec quatre (4) langues de travail ?

  1. La question qui revienne face à ces revendications d’accès linguistique aux institutions sous-régionales, est souvent celle des couts. La Commission de la CEMAC et ses institutions spécialisées, comme la Commission Concurrence et la Cour de Justice Communautaire de la CEMAC, peuvent-elles vraiment fonctionner avec quatre (4) langues de travail, tenant compte de l’investissement en ressources pour le traduction et interprétation que cela impliquera ? Le défi se situe à plusieurs niveaux, le premier étant structurel. Au sein de la CEMAC, le budget annuel (2023) en recettes des Etats Membres se situe ainsi : Cameroun (6,729 milliards), Gabon (3,602 milliards), Guinée Equatoriale (environ 3,000 milliards), Congo (2,825 milliards), Tchad (1,884 milliards), Centrafrique (280 milliards), soit un total de 18,320 milliards de francs CFA. Le budget de fonctionnement de la Commission de le CEMAC (et de ses organes spécialisés) violation constitutionnelle par des entraves linguistiques pour l’exercice 2023 est de 72,1 milliards de francs CFA. Soit 0,04% (donc, moins de la moitié de 1 pourcent) du budget des Etats membres. 
  2. Au fur et à mesure que ces mêmes Etats cèdent des pans entiers de leur droit aux instances sous-régionales et supranationales, ils doivent se préparer en conséquence en dotant lesdites instances des moyens de fonctionnement à la hauteur des mandats et de la complexité des taches qui leur sont dévolus. Il serait important de procéder à un reprofilage des institutions de la CEMAC, sous forme de diagnostic des ressources humaines, sur l’adéquation entre leurs organigrammes et effectifs, et les taches, mandats et attentes de ces organismes, découlant des textes qui les régissent. L’objectif étant de renforcer ces institutions sous-régionales en qualité et en quantité de personnels qualifiées dans divers domaines essentiels pour leur bon fonctionnement, comme dans le domaine de la traduction, l’interprétariat, l’organisation de conférences, et les technologies associées.    
  3. La CEMAC ne doit pas continuer à fonctionner avec deux (2) régimes et à deux vitesses au sein de ses institutions clefs. D’une part, certaines institutions avec une bonne assisse financière, capable de bien rémunérer leur personnel, leur offrir une assurance santé et autres avantages mérités au regard de la technicité de leur travail – comme la BEAC, qui dispose d’un budget annuel de 394,1 milliards de francs CFA (plus de 5 fois supérieur au budget de la Commission CEMAC et des institutions qui en dépendent). Et d’autre part, le reste des institutions de la Communauté qui peinent à disposer des ressources pour fonctionner convenablement. Les tâches assignées aux différents violation constitutionnelle par des entraves linguistiques organes de la Communauté sont importantes dans leurs domaines respectifs : la politique monétaire, la règlementation du secteur bancaire, l’application du dispositif pour la concurrence, ou le pilotage des projets intégrateurs de la sous-région. Les Chefs d’Etat et les gouvernements respectifs doivent doter la Commission CEMAC et les organes qui en dépendent, des ressources à la hauteur de leurs mandats.  
  4. Ensuite, à l’intérieur des institutions de la CEMAC, il est essentiel d’opérer un changement de paradigme. Le plurilinguisme institutionnel, ou le fait d’avoir à fonctionner dans plusieurs langues officielles n’est pas juste une « contrainte », une difficulté. C’est plutôt un atout pour la Communauté d’avoir toutes ces langues, qui lui servent de vitrine pour les échanges avec différentes parties du continent et du monde. L’Arabe (avec l’Afrique du Nord), l’Anglais (avec l’Afrique Australe, de l’Est, et le Nigeria), l’Espagnol (avec l’Amérique Latine) et le Français (avec l’Afrique de l’Ouest et du Nord). Tout comme les frontières ne sont pas des murs et des barrières mais plutôt des lieux des échanges avec les voisins, ces langues sont des passerelles de communication avec le continent et la monde. Géopolitiquement à travers le monde, l’heure n’est pas au renferment dans des cocons et des forteresses linguistiques.  
  5. La CEMAC elle-même est en pleine mutation. Ses échanges et ses partenariats commerciaux sont diversifiées, nécessitant ce plurilinguisme au sein de ses institutions. A l’intérieur de la Communauté les murs linguistiques se brisent. Au Gabon, depuis une décennie, l’Anglais est enseigné comme deuxième langue étrangère dans le programme scolaire. Avant les récents évènements dans les régions du NO et SO du Cameroun, il y’avait toujours un fort contingent d’étudiants Equato-Guinéens qui y poursuivaient leurs études universitaires en Anglais. Ce plurilinguisme est aussi pratique. Prenons l’exemple d’actualité d’un grand gisement de gaz naturel découvert aux larges du Cameroun et de la Guinée Equatoriale, dont le premier dispose de plus de 80% des réserves dudit champ. Dans ce projet, le gisement sera exploité par la société Américaine Chevron (anglais nécessaire), pour violation constitutionnelle par des entraves linguistiques extraire du gaz des champs du Cameroun (où le français et l’anglais seront nécessaires), qui sera traité sur les installations de Punta Europa en Guinée Equatoriale (espagnol nécessaire). C’est ça, l’avenir de ce droit et des transactions d’affaires multinationales, qui nécessiteront des professionnels et des équipes polyglottes. La jeunesse de la CEMAC ne veut pas se renfermer dans une seule langue, mais souhaite plutôt maitriser le maximum de langues possibles, pour être compétitif sur le continent et ailleurs. Pour une sous-région qui prône l’intégration comme valeur cardinale, quel meilleur moyen de s’intégrer que d’utiliser effectivement toutes les langues de travail de la Communauté ?
  6. Au-delà de l’enjeu économique, commercial, et intégrateur, le plurilinguisme est aussi un outil indispensable pour la gestion des conflits et la construction des sociétés inclusives dans les pays de la CEMAC et de l’Afrique Centrale, qui ont connu des influences diverses (français, anglais, arabe, espagnol, portugais) et qui doivent concilier ses influences en leur sein. Au Cameroun par exemple, la question de l’accès aux textes et aux instances et organes supranationales (OHADA) sur une base équitable en anglais et en français, tout comme la prise en compte des spécificités du droit anglo-saxon, sont des questions très sensibles, avec un potentiel conflictuel avéré. Ce n’est pas plus couteux de mettre en place la tolérance plurilinguistique au sein des institutions sous-régionales et communautaires, que de gérer le cout des conflits qui peuvent résulter violation constitutionnelle par des entraves linguistiques de sa non-application.  

Me. Paul Nana Simo 

Spécialiste en Droit International Public et Résolution de Conflits

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