Côte du Fako : 1.642 ha de mangrove perdus en 30 ans
Carte de la mangrove de Tiko Source: Ngole-Jeme et al (2016)

Côte du Fako : 1.642 ha de mangrove perdus en 30 ans

Les données recueillies auprès des exploitants forestiers estiment à plus de 234 tonnes la quantité de mangroves exploitée mensuellement à Tiko, une commune de la région du Sud-Ouest Cameroun. Selon Voice of Nature, une ONG locale de protection de l’environnement, près de 1.642 ha de mangroves ont été détruits dans la même région entre 1986 et 2016 Mangrove Perdus dans la Côte du Fako.

Shey Pilate, âgé de 54 ans, est père de trois enfants. Ce chef de famille est installé à Down Beach, un quartier de la ville de Tiko, une commune du département de Fako située dans la région du Sud-ouest au Cameroun depuis plus de 20 ans. Ce cinquantenaire vit de la vente du bois des mangroves.

Ses journées commencent à 5h30, lorsqu’il se lève et se prépare à aller à la plage. Dès 6 heures, il découpe les troncs de bois apportés la veille par les exploitants. Les morceaux sont ensuite vendus en fonction de la demande de ses clients Mangrove Perdus dans la Côte du Fako.

Même si cette activité n’est pas très lucrative, dit-il, elle lui permet de subvenir aux besoins de sa femme et de ses trois enfants. Shey et ses compagnons sont considérés comme les doyens de ce business dans la région. Cela fait plus de deux décennies qu’ils excellent dans cette activité, qui n’attire principalement que des travailleurs temporaires.

Une Mangrove Perdue dans la Côte du Fako?

Dans la commune de Tiko, le quartier balnéaire Motombolobo abrite le principal centre de collecte et de vente des palétuviers, appelés en langue locale « matanda ». Le bois de mangrove est l’un des produits les plus populaires de la localité. Les morceaux de bois sont commercialisés non seulement dans la ville de Tiko, mais aussi dans d’autres villes du pays.

Le « matanda », expliquent les habitants de cette localité, est utilisé en cuisine, pour le fumage du poisson, car en plus d’être bon marché, il est disponible et plus résistant que les autres arbres. Les poissonniers, quant à eux, apprécient ce bois pour la saveur et la coloration qu’il donne au poisson fumé.

Mangrove Perdue dans la Côte du Fako
Shey Pilate à l’œuvre, fendant du bois à Down Beach, Tiko. Crédit photo : Shing Timothy

 

A en croire Shey, 3 à 5 camions de 3 tonnes de bois de mangrove sont quotidiennement chargés dans cette zone. « Par jour, nous pouvons remplir au minimum 4 ou 5 camions dyna, mais lorsque les affaires tournent au ralenti, nous en chargeons moins. Notre travail est réparti sur six jours, sauf le lundi, qui est un jour de repos », explique-t-il.

Selon cet exploitant, au moins 234 tonnes de bois sont exploitées mensuellement dans cette zone. En effet, par jour, 9 tonnes de bois sont vendues, en raison de 3 camions en moyenne chargés par jour. Ce qui équivaut à 234 tonnes de bois au bout d’un mois de vente. « Nous dépendons des marées. Lorsqu’elles sont assez hautes, les exploitants vont en mer et lorsqu’elles sont basses, peu de personnes y vont », ajoute-t-il.

Selon David Manjanga, le président de l’association des exploitants de mangrove de Tiko et doyen de l’exploitation de la mangrove dans cette commune, près de 26 exploitants travaillent quotidiennement en dehors des lundi qui est un jour de repos.  « Les coupeurs de bois gagnent entre 52.000 et 104.000 F Cfa par mois en cumulant leurs revenus journaliers. Par jour, on peut gagner entre 2000 et 4000 F Cfa », explique Shey.

A en croire ces bûcherons, leur revenu est insignifiant par rapport à celui des détaillants qui gagnent entre 400 000 et 1 000 000 F Cfa par mois grâce. « Depuis Douala, nous versons beaucoup d’argent aux différents maillons de la chaîne de contrôle, et ici nous payons une taxe aux agents forestiers et à ceux de la mairie. Donc à la fin, la majorité de nos gains finissent chez ces personnes ».

De petites pirogues accostent dans les mangroves lorsque la marée est basse. Crédit photo : Shing Timothy.

A Tiko, relève, Ewumbwe Njie, le secrétaire général du Conseil des chefs traditionnels de Tiko et chef de quartier de Motombolombo, l’exploitation et la disparition des mangroves a pris de l’ampleur au cours des 30 dernières années. « Depuis environ 30 ans, nous récoltons du « matanda », sans le replanter, ce qui entraîne une régression considérable de cet écosystème. Cette perte a affecté les activités de pêche dans notre commune. Cette exploitation s’étend jusqu’au lac Manoka ». Cette surexploitation des mangroves de Tiko, explique Njie, a obligé les exploitants à aller couper les mangroves de l’île de Manoka, dans l’arrondissement de Douala 6e, région du Littoral, afin de satisfaire à la demande croissante des clients.

La disparition des mangroves inquiète

D’après le rapport 2017 de CWS, une organisation environnementale, la mangrove intacte au Cameroun couvre une superficie de 221 162 ha soit 56%, répartis respectivement dans trois zones : L’estuaire du Rio Del Rey où est située la côte de Fako, avec 125 259 ha soit 56,6%,  de l’estuaire du Cameroun, avec 93 549 ha soit 42,3% et de  l’estuaire du Ntem qui s’étend sur 2 354 ha soit 1,1%.

Dudit rapport, il ressort que la dynamique des mangroves dans l’estuaire du Rio Del Rey a subi une importante régression de la couverture végétale, passant de 1018,19 km² à 934,19 km², soit une perte de 8,25 %. La même étude indique que les zones d’habitation ont connu une augmentation de 57,34 % et que les terres agricoles se sont accrues de 39,24 %.

A en croire Ndimuh Bertrand, directeur général de Voice of Nature, une ONG locale de protection de l’environnement, les mangroves de la côte de Fako ont considérablement été  réduites et ce, de manière préoccupante au cours des 20 à 40 dernières années. Les activités humaines dans les zones côtières, telles que l’occupation anarchique des habitants, la surexploitation des ressources et la pollution, ont un impact considérable sur cet écosystème. L’activiste tire sur la sonnette d’alarme sur le fait qu’entre 1986 et 2016, cette tendance a connu une hausse de 14 %. En 1986, la côte de Fako comptait 11.940 hectares et en 2016, elle en comptait 10.300, soit une perte de 1.642 hectares.

Dans un article  publié en 2021 dans le  Journal américain “Water Science and Engineering”sur  la gestion des risques d’inondation le long de la côte atlantique de Limbe, Usongo Patience Ajonina, Tepoule Nguéke Joseph et Chang Linda ont ressorti un certain nombre de facteurs liées à la disparition des mangroves. Pour ces auteurs, les inondations ont des conséquences importantes pour les populations. Entre autres  la destruction des habitations, la destruction des plantations, le risque des maladies hydriques, le déplacement des habitants, les pertes de biens, la pollution des puits, la destruction des routes.

Le Professeur Beatrice Fonge, chercheur en biodiversité et gestion des écosystèmes de mangroves, indique que les inondations sont dues à la destruction des barrières naturelles entre le milieu terrestre et le milieu marin, à l’instar des mangroves, avec des impacts directs et indirects sur les populations. L’exploitation de la mangrove entraîne une modification du flux des marées, de la pollution et de l’invasion des mauvaises herbes sur les communautés côtières. « La perte continue des forêts de mangrove aura des impacts écologiques et socio-économiques importants, lesquels touchent  de manière démesurée les populations côtières qui dépendent directement des produits et services de la mangrove pour leur subsistance. Car les mangroves agissent idéalement comme des barrières naturelles contre les inondations, leur disparition expose ces populations ».

Mangrove Perdue dans la Côte du Fako
Jeune palétuvier à Tiko. Crédit photo: Shing Timothy

Pour cette chercheure, les causes de la disparition de la mangrove sur la côte de Fako sont : l’urbanisation, la création  de grandes industries, notamment SONARA et CDC. Ces industries, dit-elle, contribuent à la disparition de la mangrove avec la pollution causée par le dépôt de déchets industriels et domestiques. Une situation qui expose la majorité des poissons, y compris les crustacés, qui se développent sous les mangroves pour se protéger des prédateurs. « Désormais, nous verrons que nos poissons sont rares, leur reproduction et leur croissance sont menacées. Ils sont également exposé à la concurrence, car des organismes plus gros qu’eux les mangent », explique le Professeur Fonge.

Comment sauver les mangroves du Rio Del Rey 

Bien que cet écosystème joue un rôle important pour l’équilibre de la biodiversité et l’absorption du dioxyde de carbone, Kimeng Waindim Rudolf, 4ème adjoint au Maire de Tiko, reconnaît cependant que la Mairie manque de partenaires fiables pour accompagner ses projets de gestion durable de mangrove.  «  La conservation des mangroves est très coûteuse, car elle implique l’emploi des personnes chargées de la surveillance et de suivi, car sans suivi, les habitants abattent tous les bois. Nous avions un projet de conservation des mangroves, avec un partenaire, mais ce dernier a été mis en attente », a-t-il déclaré.

Malgré les défis auxquels il faut faire face, il insiste sur le fait que les agents de la Mairie montent la garde sur les sites de vente afin de surveiller et de contrôler les types d’essence commercialisés. « Ce que nous faisons maintenant, c’est que nous avons du personnel de la Mairie qui contrôle le bois sur les plages  », a-t-il affirmé, en exprimant le souhait de la Mairie de collaborer avec les partenaires qui protègent et préservent les mangroves Mangrove Perdus dans la Côte du Fako.

D’après le Professeur Fonge, des actions sont menées sur la côte de Fako avec les différentes parties prenantes comme les fumeurs de poisson, les pêcheurs, les exploitants de bois, les exploitants de sable, les agriculteurs et les industriels à différents niveaux pour inverser la tendance. Elle pense que pour sauver les mangroves, il est nécessaire d’adopter une loi sur la gestion les mangroves, d’intégrer des approches multidisciplinaires de la gestion, de renforcer les capacités organisationnelles et fonctionnelles des pêcheurs et des autres exploitants des mangroves, de mettre en œuvre des programmes communautaires de plantation d’arbres pour la restauration et de créer des partenariats efficaces pour soutenir la gestion participative des mangroves…

La loi forestière de 1994 et la loi environnementale de 1996 restent le cadre juridique fondamental pour la biodiversité au Cameroun. Ces lois doivent être appliquées et la protection des écosystèmes de mangrove doit être intégrée dans ces lois”, souligne cette chercheuse. Elle recommande également que le statut de zone protégée soit accordé aux mangroves, de sorte que l’exploitation sous toutes ses formes et l’expansion des activités humaines dans les mangroves soient interdites afin de mettre un terme à leur destruction Mangrove Perdus dans la Côte du Fako.

L’Environment and Rural Development Foundation ERuDEF, une ONG basée à Buea, a lancé en 2022 un projet visant à aider les communautés côtières de Tiko et Limbe III à conserver leurs mangroves, en préservant 5000 ha de réserve forestière pour l’écosystème de mangrove. Le projet selon ERUDEF s’étendra sur 25 ans et protégera 5000 ha d’une réserve forestière qui servira de zone de protection de l’écosystème de mangrove, et la création d’institutions locales de gestion pour ces communautés côtières de Tiko-Limbe III.

Selon David Manjanga, la plupart des personnes impliquées dans la coupe des mangroves insistent sur le fait qu’elles n’ont aucune autre source de revenus. Dans cette optique, il est important d’initier des projets et programmes qui peuvent être  des opportunités d’emploi pour les habitants de ces communautés côtières. Comme le dit le dicton, « la chèvre broute où elle est attachée », une gestion efficace et durables des mangroves, doit aller de pair avec l’amélioration des conditions de vie des populations côtières.

Shing Timothy et Aminateh Nkemngu

Cette enquête a été réalisée avec la collaboration du quotidien The Guardian Post et DataCameroon, dans le cadre du projet Open Data for Environment and Civic Awareness in Cameroon (ODECA), initié par ADISI-CAMEROUN. Le projet est financé par le Centre for Investigative Journalism (CIJ) de l’Université de Londres, dans le programme Open Climate for Reporting Initiative (OCRI).
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