Covid-19 : A Kye-Ossi, le secteur d’élevage affecté à près de 40%
Source : SCAEK/DataViz by ADISI-Cameroun

Au-delà de la crise sanitaire, les acteurs agropastoraux de cette ville transfrontalière du Sud font face à une crise économique, en raison de la fermeture des frontières camerounaises avec la Guinée équatoriale et le Gabon.

C’est une ferme aujourd’hui à l’abandon, envahie par les herbes. Le poulailler et la porcherie sont vides. Dans la bergerie, juste 3 moutons encore en vie. Quelques poissons rescapés sont visibles dans trois étangs, le mercredi 24 février 2021. Cette ferme située au quartier Akombang Nord à Kye-Ossi, ville transfrontalière dans le département de la Vallée-du-Ntem, région du Sud, a perdu de son effervescence d’antan. Le cheptel qui donnait vie à cette exploitation agricole a progressivement disparu avec l’apparition de la maladie à coronavirus. Une ferme qui pourtant produisait en moyenne 150 poulets pantalonnés et 100 petits ruminants, principalement le mouton par trimestre.

Source : SCAEK/DataViz by ADISI-Cameroun

A cause de la crise sanitaire, déplore Aristide Ambende, PCA de la Société coopérative des agriculteurs et éleveurs de Kye-Ossi (Scaek), une organisation agropastorale de près de 135 membres, qui couvre tout l’arrondissement, la ferme s’est progressivement vidée. La structure est en arrêt de production. « Depuis mars 2020, le Gabon a fermé ses frontières de manière systématique, la Guinée Equatoriale avait déjà fermé la sienne. Le Gabon était le seul marché qu’on n’avait à 60%, et lorsque les frontières ont été fermées, on est tombé à 0%. C’est essentiellement ces pays voisins qui étaient notre plus grosse clientèle », explique Aristide Ambende.

En effet, depuis le début de la pandémie dans la sous-région Afrique Centrale, les transactions avec le Gabon, principal acheteur des produits camerounais avec la Guinée Equatoriale dans cette commune est au point mort. Conséquence de la fermeture des frontières entre le Cameroun et ces deux pays voisins, dans le cadre de la réponse contre de la Covid-19. Comme retombées directes, les exportations sont bloquées.

Pertes

Avant la pandémie à Covid-19, cette coopérative écoulait en moyenne 2 porcs par jour, à raison de 2500F Cfa le kilogramme. Un animal pèse entre 50-150 kg, ce qui équivaut à 300 mille F Cfa en moyenne de revenu journalier. Depuis avril 2020, pour cette seule filière, c’est une entrée quotidienne perdue. Ceci, sans compter les pertes enregistrées pour les autres spéculations, notamment les petits ruminants et le poulet. L’association vendait également environ 1,5 tonnes de manioc transformé par semaine vers le Gabon, une source de revenu qui a depuis lors tarie. « Entre mars et décembre, nous n’avons pas vendu.  Seulement entre mars et mai 2020, nous avons enregistrés 58 tonnes de manioc qui n’ont pas été écoulées. Nous sommes partis d’une marge bénéficiaire de 4400000 F Cfa par trimestre, à zéro F Cfa dans la commercialisation du manioc transformé », déplore Aristide Ambende, PCA de cette coopérative.

Dans cette localité qui compte environ 120 éleveurs, à défaut de perdre la production, elle est vendue à vil prix. Une situation qui anéantit les efforts des producteurs locaux. Christian Waffo, est un polyculteur-éleveur, un infirmier diplômé d’état, ancien promoteur d’une formation sanitaire, aujourd’hui reconverti en agripreneur.  Promoteur de la ferme aquacole de Kye-Ossi, une entreprise spécialisée dans l’entreprenariat agropastoral, il peine encore à se remettre en selle.

Depuis avril 2021, ses activités ont pris un sacré coup autant au niveau de l’approvisionnement des intrants que de l’écoulement des produits. « Depuis la pandémie, le marché est totalement paralysé. Le plus grave est au niveau des approvisionnements. Les intrants que nous utilisons viennent de Yaoundé et Douala. Les transporteurs qui nous approvisionnent, transportent également d’autres marchandises. En raison du Covid-19, la demande à Kye-Ossi a chuté, et par conséquent ces transporteurs n’y viennent plus. Les intrants sont rares et chers. Le son de blé par exemple est passé de 3000 à 7000   F Cfa », relève et entrepreneur agricole.

Un marché de bêtes à l’abandon à Kye-Ossi

Comme chez la plupart des producteurs de cette ville frontalière, la production de Christian est destinée à 90% au Gabon et à la Guinée-Equatoriale. Une clientèle habituée aux grosses commandes, qui se raréfie désormais. « D’un coup, lorsque la frontière a été fermée, surtout au niveau du Gabon, la ménagère gabonaise n’arrive plus à Kye-Ossi.  On a de la peine à vendre. Je livrais mes porcs par exemple à la boucherie porc, qui pouvait tuer par semaine, 5 porcs d’au moins 120 kg, soit 600 à 700 kg de viande chaque 6-7 jours. Mais actuellement c’est à peine un porc par trois jours.  Donc, on est passé de 700 à peine 200 kg chaque trois jours. Aujourd’hui on dépense pour nourrir sans pouvoir vendre. On est obligé d’aller donner le porc aux bouchers, au cas où il parvient à revendre, il nous reverse notre dû, ce qui n’est pas évident. On vit sous pression », regrette-t-il.

Marché local

Malgré cette conjoncture morose, ce Polyculteur tire avantage de la diversification de son entreprise, qui permet à sa famille de joindre les deux bouts. Le père de deux enfants a également développé une commercialisation communautaire, bien que le pouvoir d’achat soit très faible, afin de distribuer ses produits à un prix relativement accessible. « Par le passé, je pouvais vendre 300 kg de poissons en 24 h, mais j’ai mis presque 3 semaines pour vendre la même quantité en 2-3 kg chez les riverains », affirme cet éleveur. Entre le mois d’avril et décembre 2020, Christian Waffo a perdu plus de 80% de ses entrées financières. Pire, la situation ne semble pas s’améliorer avec la pandémie qui progresse au Cameroun avec plus de 36 mille cas positifs déjà enregistrés.

A en croire le délégué d’arrondissement de l’Elevage des Pêches et des Industries Animales (Minepia) de Kye-Ossi, Elhadj Djibrilla Salissou, les « pertes ne sont pas si énormes ». « Si on peut estimer que les activités allaient à 80% avant la crise, elles sont à 40% actuellement. En tant que technicien, nous tenons également compte de la consommation locale qui n’est pas négligeable », dit-il. Face à cette crise, la délégation mise sur l’encadrement et l’orientation des éleveurs vers le marché local. Le but est de les inciter à explorer les opportunités locales en attendant l’ouverture des frontières. Des financements ont également été octroyés dans le cadre du projet PRODEL pour encourager les éleveurs de poulet de chair sous l’impulsion du Minepia. Pour une meilleure organisation, la délégation a structuré le secteur en association et coopérative en fonction des spéculations. « Nous voulons que les producteurs comprennent que la situation va changer et que leurs activités vont reprendre. Kye-Ossi est une bonne localité pour l’élevage et l’agriculture », affirme Elhadj Djibrilla Salissou.

Travaux réalisés dans le cadre du projet « Accès à l’information en période de Covid-19 au Cameroun avec le soutien de Free Press Unlimited ».

Marie Louise MAMGUE et Marthe NDIANG, de retour de Kye-Ossi

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