Emploi : la main d’œuvre domestique, une profession ingrate
Emploi : la main d’œuvre domestique
Un travail sans véritable plan de carrière, un traitement parfois inhumain et la non affiliation à la caisse nationale de prévoyance sociale sont entre autres difficultés auxquelles font face ces travailleurs au Cameroun .
Un cendrier au sol, le salon en désordre avec un tapis contenant encore quelques résidus de nourriture… C’est ce à quoi ressemble la maison à l’arrivée d’Emilienne, ouvrière domestique dans un appartement situé à Bonapriso, un quartier résidentiel situé dans l’arrondissement de Douala 1er.
Employée dans cette maison comme femme de ménage depuis septembre 2022, Emilienne s’en sort plutôt bien, comparé à ce qu’elle a très souvent endurée. « Avant d’arriver ici, j’ai été résidente. Je faisais pratiquement tout dans la maison . Quand le bébé pleurait dans la nuit, c’est moi qui m’en occupais, la mère elle, restait dormir dans sa chambre(…) j’ai lavé les sous-vêtements de mes patrons, même ceux qui contenaient du sang », raconte-t-elle, sans gêne.
De pareils témoignages, Emilienne en compte une pléthore depuis la fermeture de son restaurant et ne s’en lasse pas. Celle qui se définit comme une révoltée, multiplie des démissions et des renvois, dit-elle, à cause de sa forte personnalité. « L’une de mes patronnes avait mis mon téléphone sur écoute. Une fin du mois, elle me dit que mon travail va s’arrêter et que si je ne veux pas le perdre, je dois lui demander pardon à genoux. Je lui ai dit que je ne le ferai pas . Qu’ils (les expatriés NDLR) ne peuvent pas nous maltraiter chez eux et comptent faire pareil chez nous. Ma collègue s’est agenouillée, elle est restée. Moi j’ai refusé et mon travail s’est arrêté », témoigne-t-elle.
Comme Emilienne, Simon D. agent d’entretien depuis 5 ans, n’est pas à l’abri des abus. « On ne paie pas les heures supplémentaires. On coupe nos salaires en cas d’indisponibilité, soit 2 000 F Cfa la journée. Si tu t’absentes plus de 2 jours, on multiplie . Même en montrant un carnet d’hôpital, on peut retrancher ton salaire, sans toutefois le reverser à la personne qui te remplace », explique Simon.
Ces désagréments sont selon Elisabeth Ewombe Kalla, administrateur du travail et de la prévoyance sociale et inspecteur régional du travail N°4-Littoral Douala, dus à l’environnement de ces travailleurs, notamment le domicile, qui selon elle, « est une porte ouverte aux mauvais traitements ».
Dans le but de valoriser le travail domestique, l’Association pour le développement des assistantes de maison (Asdam), coordonnée par Claudine Lucie Mboudou Mballa met des stratégies en place afin que le travail décent et la vie décente deviennent une réalité pour les travailleurs domestiques au Cameroun. Ceci pour que, « ce soit un travail avec un plan de carrière et non un emploi du substitution », souligne Claudine Lucie Mboudou Mballa.
Les cotisations
Malgré ses 11 années passées dans ce secteur d’activité, Emilienne, actuellement inscrite Allo nounou, une entreprise de placement de personnel de ménage n’a jamais été immatriculée par ses employeurs . Ni l’entreprise de placement, ni ses employeurs ne l’ont enregistré à la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps). « Je ne peux pas savoir si tout le monde est dans la même situation que moi. L’entreprise en elle-même ne t’affilie pas. Par contre celui chez qui tu travailles, s’il est une bonne personne, il peut t’affilier à la Cnps. Il y a des personnes qui ont été affiliées à la Cnps. Monique (une parente qui est également employée de maison NDLR) l’est et c’est l’entreprise qui l’a affilié. Allo nounou n’affilie pas les gens à la Cnps », confie Emilienne.
Pour remédier à cette situation, Elisabeth Ewombe Kalla invite entre autres, à la révision des textes qui selon elle, sont vieux. « Ils datent de 1968(..) Il faudrait aussi que les concertations des différents acteurs et mouvements syndicaux produisent un résultat capable non seulement d’harmoniser les pratiques, mais aussi de créer une sorte de sécurité autour de ces personnels », souligne cette administratrice du travail et de la prévoyance sociale.
Guy Nobi, fondateur d’ Allô Nounou, une entreprise de placement du personnel de maison au Cameroun fait savoir que l’affiliation peut se faire à plusieurs niveaux . « Que l’on soit employé à plein temps ou à temps partiel, si on est à la mise à disposition, systématiquement, on affilie l’employé de maison à la Cnps, parce que c’est notre responsabilité en tant qu’employeur. Mais si on est en mise à relation, c’est le demandeur qui est patron. En ce moment, on l’encourage à affilier l’employé de maison à la CNPS », explique Guy Nobi. Il ajoute : « Comme c’est des salaires qui ne sont pas très élevés, nos cotisations sont généralement comprises entre 2 500 F Cfa et 5 000 F Cfa. La cotisation la plus élevée qu’on a eu a été de 15 000 F Cfa . Mais c’était dans le cadre des mises en relation. Nous-même on ne l’a pas encore fait. »
Contrairement à Emilienne, Simon qui cumule 5 années de service, est pris en charge par son employeur. Avec 60 000 F Cfa de salaire mensuel, il a été affilié au cours de sa 2e année de travail . Avec ce salaire, il est à près de 5 000 F Cfa de cotisation mensuelle.
En effet, Alain Noël Olivier Mekoulou Mvondo, le Directeur général de la Cnps a indiqué dans un communiqué de septembre 2022, l’obligation des employeurs à déclarer, immatriculer et cotiser leurs mains d’œuvre domestique. En ajoutant que passé ce mois, des enquêtes et contrôles systématiques seront organisés sur l’ensemble du territoire national. Seulement, rendu à la direction régionale de la Cnps pour le Littoral, impossible d’être fixé sur les méthodes mises en œuvre pour appliquer la décision du directeur général . DataCameroon n’a reçu aucune suite à sa demande d’entretien déposée depuis mai 2023.
Michèle EBONGUE
