Industrie Extractive au Cameroun : L’autre suspension de l’ITIE qu’on aurait pu éviter

La décision est tombée le vendredi 1er Mars 2024, après la tenue du Conseil d’administration de L’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives.

Le Conseil est finalement parvenu à la conclusion selon laquelle le Cameroun a atteint un score assez faible (53 points) relativement à la mise en œuvre de L’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE). Parmi les facteurs de cette notation, les progrès insuffisants dans l’engagement de la société civile et des contraintes imposées par le gouvernement sur la liberté d’expression et la liberté d’association de la société civile. Conséquence, le Cameroun est suspendu jusqu’à la prochaine validation.

Pour rappel, l’économie du Cameroun dépend largement des secteurs pétrolier et gazier qui, selon la déclaration de l’ITIE, représentaient environ 4% du PIB, 16% des recettes du gouvernement et 31% des exportations en 2021. Le pays a également étendu ses activités de production et d’exportation de gaz ces dernières années. L’exploitation artisanale d’or et de diamant est très pratiquée au Cameroun et le pays cherche à attirer des projets d’exploitation industrielle à grande échelle.

Au cours de ces trois dernières années, tous les ingrédients étaient réunis pour que nous en arrivions là : l’affaire Glencore, le contrat de Sinosteel sur le projet de fer de Lobe jugé léonais, la vente de notre pétrole brut avec une décote de 30-50%, l’importation du carburant à un prix premium.

Malgré la sonnette d’alarme tirée par les experts, la société civile et les hommes politiques sur la gestion opaque de nos ressources pétrolières et minières, le gouvernement du Cameroun, représenté par la Société nationale des hydrocarbures (SNH) et le Ministère des mines, de l’industrie et du Développement technologique (MINMIDT) a fait la sourde oreille. Résultat des courses, c’est tout un pays qui va payer le prix. Nous appelons les dirigeants de la SNH et du MINMIDT à prendre toutes leurs responsabilités pour avoir fait du Cameroun, un mauvais élève auprès de l ITIE.

Qu’est-ce que l’ITIE ?

L’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), en anglais Extractive Industries Transparency Initiative (EITI) est une organisation internationale à but non lucratif et de droit norvégien, chargée de maintenir à jour et superviser la mise en œuvre d’une norme. Lancée en 2003, l’objectif de cette norme est d’évaluer dans quelle mesure les revenus des ressources pétrolières, gazières et minérales d’un pays sont gérées de manière transparente. L’ITIE a pour but de renforcer les systèmes gouvernementaux en accentuant la gouvernance publique et des entreprises. L’ITIE sert aussi de source d’information pour sensibiliser la population, favoriser le débat public, face au secteur extractif et à l’usage qui est fait des revenus en provenant.

L’ITIE part du principe que les ressources naturelles d’un pays appartiennent aux citoyens de ce pays. Lorsque l’extraction de ces ressources est bien gérée, la richesse générée peut contribuer à développer le secteur économique et social. Cependant, si le secteur extractif souffre d’une mauvaise gestion, celui-ci peut être source de corruption et de conflit.

L’ITIE et le Cameroun….

Le Cameroun a été désigné « Conforme à l’ITIE » par le Conseil d’administration de l’ITIE réuni à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le 17 octobre 2013. Le fait qu’un pays soit Conforme à l’ITIE ne signifie pas que ses ressources naturelles sont gérées d’une manière entièrement transparente. Il donne plutôt l’indication que ce pays dispose d’un processus de base fonctionnel visant à garantir la divulgation des revenus qui sont issus de ses ressources naturelles. Afin de rester Conforme, le pays doit satisfaire à toutes les exigences de la Norme ITIE, récemment révisée.

D’où la suspension du Cameroun.

Quelles sont les conséquences de la suspension du Cameroun de l’ITIE ?

Selon Mr Ange NGANDJO (Banquier-Consultant), le fait de ne pas être membre de l’ITIE peut présenter plusieurs inconvénients pour le pays :

  • Manque de transparence : Sans adhésion à l’ITIE, un pays peut manquer de normes et de Mécanismes clairs pour assurer la transparence des revenus provenant des ressources naturelles, ce qui peut conduire à une opacité et à des risques accrus de corruption ;
  • Perte de confiance des investisseurs : Le non-respect des normes internationales en matière de transparence dans le secteur des ressources naturelles peut dissuader les investisseurs internationaux dans le domaine de l’industrie pétrolière et minière ;
  • Risques accrus de mauvaise gestion des ressources naturelles : Sans les mécanismes et les conseils fournis par l’ITIE, un pays pourrait être plus exposé à une mauvaise gestion des revenus provenant des ressources naturelles ;
  • Isolement international : En ne rejoignant pas l’ITIE, un pays risque de s’isoler sur la scène internationale en ne participant pas aux efforts mondiaux visant à promouvoir la transparence et la responsabilité dans le secteur des ressources naturelles ;
  • Manque d’accès aux opportunités de renforcement des capacités : Les pays non membres de l’ITIE pourraient manquer d’accès aux ressources techniques et financières fournies par l’ITIE pour renforcer leurs capacités en matière de gestion transparente des revenus provenant des ressources naturelles.

Pour finir…

Il est temps que les ressources minérales et pétrolières du Cameroun reviennent à leur propriétaire naturel : « le Peuple !»  Pour cela, une gestion transparente de ces ressources s’impose et par conséquent les reformes suivantes sont suggérées au Cameroun :

  1. La création d’un ministère du pétrole ;
  2. La création d’un ministère des mines ;
  3. La restructuration de la SNH et de la SONAMINES et leur mise sous tutelle technique de leur ministère respectif. La SNH devra se contenter de gérer les participations de l’Etat dans les Joint-ventures (JV) et la SONAMINES devra avoir pour mission principale, la recherche, l’exploration et la mise en exploitation des projets miniers.
  4. La création de la « Cameroon Oil Compagnie-COC », qui sera exclusivement chargée de faire de la recherche, de l’exploration et du développement et mise en production des nouveaux champs pétroliers et gaziers.
  5. La création d’un « comptoir camerounais de collecte d’or et de pierre précieuses » qui aura pour mission d’organiser et d’encadrer les activités d’exploitation artisanale de l’Or et du diamant, ainsi que de l’achat des produits pour constituer des réserves stratégiques du Cameroun en Or et en pierres précieuses.
  6. L’adoption d’un nouveau Code minier, car celui de 2023 ressemble beaucoup plus à un code fiscal et douanier. Le Cameroun a besoin d’un code minier qui pourra révolutionner son secteur minier et le rendre plus attractif aux investissements.

Tant que la gestion de nos ressources pétrolières et minières sera faite dans l’opacité et donc, au détriment du Peuple, nous aurons toujours des soucis avec l’ITIE.

Il est plus que temps d’engager les reformes réelles de l’industrie extractive Camerounaise.

Dr Bareja Youmssi

Expert en Mines et Pétrole

Enseignant- Chercheur

*Les propos sont de l’auteur

 

Leave comment

Your email address will not be published. Required fields are marked with *.