« Kolofata a fait son deuil et revit avec beaucoup d’espoir »
Seiny Boukar Lamine, Lamido de Kolofata

Seiny Boukar Lamine, Lamido de Kolofata, dresse un état des lieux de cette commune qui a subi les atrocités de la secte islamique Boko-Haram. Cette ville du département du Mayo-Sava dans la région de l’Extrême-Nord, qui connait une accalmie, accueille des ex-combattants pris en charge par le dispositif DDR.

Kolofata est l’une des localités de la région de l’Extrême-Nord qui a le plus subi les exactions   de Boko-Haram. Comment se porte cette ville actuellement ?

Kolofata est meurtrie, mais elle est aussi résiliente. Donc, je pense que les malheurs ont été vécus, mais la vie a continué. La peur de mourir n’a pas empêché la population de vivre. Les habitants reprennent leur activité champêtre, ils font paître leurs animaux. Kolofata a fait son deuil et revit avec beaucoup d’espoir. Nous pensons qu’avec le programme de réhabilitation annoncé par le Chef de l’Etat, Kolofata pourra bénéficier de cette attention pour lui permettre de repartir sur de bonnes bases. La population de Kolofata ville avant la crise de Boko-Haram était estimée à près de 10 mille habitants et aujourd’hui,  avec l’arrivée des déplacés internes due à la présence  des Forces de défense et de sécurité, elle est passée à près de 30 mille habitants.

Compte tenu de cet accroissement rapide de la population, les services sociaux de base sont fortement mis à contribution. Des services qui jadis rendaient satisfaction en termes de disponibilité en eau potable, service sanitaire, éducationnel… Tout ceci est largement dépassé. Fort heureusement  au fur et à mesure de cette situation, différents acteurs sont intervenus : humanitaires,  partenaires au développement, Commune…pour améliorer l’offre de service par l’accroissement du nombre de  classe, de forage, ou par  l’installation d’un système d’éclairage public à  d’énergie solaire… Donc, aujourd’hui, on rattrape progressivement beaucoup de chose, surtout qu’on constate qu’il y a de nouveau départ de ce site pour les villages d’origine. La pression diminue, et on va arriver à un équilibre où les besoins ressentis aujourd’hui ne le seront plus demain

Globalement, Kolofata se porte de mieux en mieux sur le plan sécuritaire. On se souvient que le pic de l’insécurité a été vécu dans les années 2014-2017, mais depuis il y a une accalmie. Ceci est confirmé par le retour massif des ex-combattants au Cameroun. Au fur et à mesure qu’on enregistre ces redditions, il y a de plus en plus d’accalmie en ce qui concerne Kolofata et ses environs, ainsi que ses habitants.

Seiny Boukar Lamine, Lamido de Kolofata

La ville  a été épargnée des récentes attaques de Boko-Haram…

En tant que localité civile, Kolofata n’a pas été touchée, mais les détachements militaires qui étaient installés aux environs de Kolofata ont été visités. Il y a eu des attaques surprises qui ont fait moins de dégâts que certaines attaques qui ont eu lieu dans le Logone et Chari. Mais ceci nous interpelle tous sur la nouvelle manière d’opérer, qui consiste à attaquer les camps militaires ou les intérêts de pouvoirs publics.

Ces attaques n’ont-elles pas plongées la communauté dans un sentiment de peur ?

Un sentiment de crainte certainement, en ce sens que ces attaques ont été suivies d’un réajustement stratégique de nos Forces de maintien de l’ordre qui a été perçu par la population comme un abandon de certaines positions mises en place, et qui avaient été auparavant appréciées par la population. Maintenant que les Forces de défense et de sécurité ne sont plus proche de la population, elles se croient plus en insécurité et prend peur. Mais en réalité, nous pensons que c’est un réajustement stratégique pour répondre à la nouvelle forme d’attaque qui a été vécue ces derniers temps.

Kolofata accueille une forte vague des ex-combattants, comment se passe la cohabitation avec ses habitants ?

Il y a plusieurs étapes avant la réinsertion. En ce moment, il y a un retour massif des ex-combattants. Nous vivons la phase d’accueil, suivie de la phase d’enquête, pour éventuellement faire un  tri avant de soumettre ces éléments au processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR). Donc, à ce stade ils ne sont pas en principe mixés à la population, ils sont en transit. Maintenant, une fois qu’ils auront été envoyés vers le dispositif DDR, il est question de leur réinsertion dans la communauté. Nous n’en sommes pas encore arrivés là, mais nous pouvons déjà apprécier le point de vue de la population, qui attend de voir, si ceux qui sont réellement coupables, sont traités comme-t-elle, où alors si c’est l’impunité totale qui prévaut. En tout cas, ceci va en grande partie influencer la réinsertion parce qu’il me semble que plus le tri se fera, mieux il sera fait, plus ça sera facile d’accepter les candidats à la réinsertion. Parmi ceux qui se sont rendus, il y en a qui sont mauvais. Donc, la population attend de voir si cette distinction est faite par le dispositif public d’accueil et si réellement ceux qui ont le sang sur les mains, ceux qui ont des comptes à rendre, passent par la procédure judiciaire. Alors, les communautés seront plus soulagées, plus enclins à leur réinsertion.

 Est-ce que ces ex-combattants sont uniquement des Camerounais ?

Actuellement, beaucoup sont des Nigérians. Ils se rendent au Cameroun parce que les conditions d’accueil chez nous sont plus souples qu’au Nigeria où le système de tri et de poursuite judicaire est plus élaboré. Les mécanismes régionaux prévoient qu’ils puissent être triés et jugés localement, ou alors les retourner chez eux pour qu’ils y soient jugés. Il ne me revient pas de le dire, mais je pense sincèrement que vu le nombre de Nigérians qui se sont retrouvés chez nous, on peut s’attendre à ce qu’on les remette à leurs autorités pour qu’ils subissent le processus de réinsertion chez eux. Il me semble que depuis quelques mois, on a près d’un millier de redditions, ce qui est beaucoup. Ils sont pris en charge par le mécanisme DDR du Cameroun à travers les différents centres d’accueil. Mais déjà on peut constater que le dispositif d’accueil n’est pas approprié, il est de bon ton que les constructions de centre d’accueil envisagées depuis belle lurette, soient réellement effectives à Mémé dans le département du Mayo-Sava.

En tant qu’autorité traditionnelle, ne craignez-vous pas que l’arrivée de ces ex-combattants soit source d’un autre conflit communautaire ?

Bon ! Compte tenu des situations vécues précédemment, on devient suspicieux, méfiant. Il ne faut pas que les moutons rentrent à la bergerie, et parmi eux qu’il ait des loups. C’est ce qu’on craint, mais nous faisons confiance à nos autorités qui les accueillent et qui les identifient avant leur réinsertion, et ça nécessite un travail plus élaboré, pour distinguer ceux qui ne sont pas dangereux de ceux qui le sont réellement.

Est-ce qu’en dehors des voies légales, il y a des dispositions prises au niveau des instances traditionnelles …

Dans tous ces mécanismes de retour des ex-combattants, les autorités traditionnelles sont en amont et en aval du processus DDR. Quand les ex-combattants et associés  rentrent, ils se présentent devant les autorités traditionnelles qui les acheminent aux  autorités administratives. Et quand ils sortent du processus DDR, pour leur réinsertion, il est attendu que les chef traditionnels sensibilisent la population pour l’ acception des repentis au sein des communautés après avoir bien expliqué qu’ils ont subi un reformatage qui fait en sorte qu’on peut estimer qu’ils ne sont plus dangereux à leur sortie du centre DDR. D’une manière générale, on souhaite leur réinsertion dans des communautés autres que leur communauté d’origine, et que ça se fasse après qu’il ait appris un métier.

Y aurait-il parmi les ex-combattants reçus, ceux qui ont été reconnus au sein de la communauté ?

Quelques-uns ont été reconnus. Mais cela n’a pas créé de tension parce qu’on sait qu’ils sont entre les mains des autorités administratives et on leur fait confiance. Les populations attendent de voir si les dangereux seront jugés et les innocents feront leur rééducation dans les centres appropriés. Une fois que ceci sera fait, les populations seront satisfaites. Les communautés ne demandent que justice, pour ceux qui sont coupables. Mais il faut concomitamment penser à la prise en charge des victimes à travers des programmes appropriés à la hauteur des traumatismes vécues.

Entretien réalisé par M.L.M.

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