Ouest-Cameroun : 60% des forêts sacrées perdues en 30 ans
Une vue d'une forêt ©Tourismo Cameroun

Les forêts sacrées perdues dans l’Ouest-Cameroun

D’après le rapport final d’exécution du ministère de la Forêt et de la faune et du Millennium Ecologic Museum publié en 2010, 310 forêts sacrées (pour une superficie de 885,779 hectares (ha) ont été recensées dans cette région du pays. Mais ces espaces sont menacés de disparition du fait de la pression foncière, l’affaiblissement des croyances et l’urbanisation Les forêts sacrées perdues dans l’Ouest-Cameroun.

Les forêts sacrées de l’Ouest Cameroun sont menacées de disparition. La pression foncière, l’agriculture, l’affaiblissement des croyances ancestrales et l’urbanisation sont entre autres causes de la détérioration de ces sites naturels destinés autant aux activités traditionnelles et coutumières qu’à la préservation de la biodiversité dans cette région du Cameroun Les forêts sacrées perdues dans l’Ouest-Cameroun.

Or en principe, la forêt sacrée n’est pas ouverte à tous. « Seuls certains notables peuvent y accéder, c’est connu de tous », confie un notable d’une chefferie de l’Ouest qui a requis l’anonymat. Il ajoute, « Certains adolescents par ignorance y accèdent pour la cueillette et la recherche du bois de chauffe Les forêts sacrées perdues dans l’Ouest-Cameroun. Toutefois, nous savons qu’il est interdit de s’attaquer aux animaux qui s’y trouvent ».

André Kenne, notable à la cour royale de la chefferie supérieure Batcham dans le département du Bamboutos, précise que la forêt sacrée est un lieu destiné aux initiés et à certaines pratiques cultuelles. « Ces espaces sont les seuls îlots de forêts conservés. Ils sont de véritables sanctuaires de la biodiversité végétale et animale. Les forêts sacrées permettent de manière traditionnelle de conserver la biodiversité pour la sauvegarde de l’environnement », explique ce notable.

 

Aujourd’hui, leurs majestés Mitterrand Moumbé Fotso et Innocent Nayang Toukam, respectivement chefs supérieurs de Bamougoum et Batoufam craignent la disparition de ces véritables sanctuaires de biodiversité végétale et animale. Selon S.M Mitterrand Moumbé Fotso, la pratique de l’agriculture et le ramassage du bois de chauffage sont les principales causes de la dégradation des forêts sacrées. Des propos soutenus par son homologue de Batoufam. « L’exode urbain pousse les jeunes à couper les arbres des forêts sacrées pour les constructions de maisons », témoigne S.M Innocent Nayang Toukam. Conséquence, beaucoup craignent de voir un jour ces lieux sacrés disparaître.

D’après Rainforest Alliance, une organisation internationale œuvrant pour la conservation de la biodiversité et l’amélioration des revenus des communautés cités dans un article de « Comprendre.media » publié en novembre 2021, les forêts sacrées font face à une dégradation avancée. Elles ont, en 30 ans, selon cette organisation, perdu 60% de leur superficie estimée en 70 hectares.

Le rapport final d’exécution du ministère de la Forêt et de la faune (Minefof) et du Millennium Ecologic Museum(M.E.M) publié en 2010 et  intitulé « Inventaire, cartographie et étude diagnostic des forêts sacrées du Cameroun : contribution à l’élaboration d’une stratégie nationale de gestion durable », indique à ce sujet que, « Sur l’ensemble des forêts sacrées identifiées, 64,28 % ne présentent aucune menace de dégradation. Dans les 35,71 % où des menaces ont été signalées, les principales sources de dégradation sont : l’agriculture, l’affaiblissement des croyances ancestrales, et l’urbanisation. »

Même son de cloche avec Prince Clovis Koagne, le coordonnateur de la Fondation internationale pour développement, l’éducation, l’entrepreneuriat et la protection de l’environnement (Fidepe). Il confie à son tour, que les forêts sacrées font de plus en plus l’objet des menaces du fait de la pression foncière et l’inventaire fait jusqu’ici, date de plus de 10 ans. Pour lui, « Il est urgent aujourd’hui de sécuriser 50 hectares des forêts et bosquets sacrés des 100 hectares des terres communautaires de l’Ouest. Précisément, dans la Mifi, nous avons constaté la dégradation et la perte des superficies des forêts sacrées, qui sont des forêts de droit collectif ».

Le rapport conjoint du Minefof et du M.E.M répertorie deux types de forêts sacrées, à savoir : la forêt sacrée de quartier ou forêt sacrée lieux de culte animiste et la forêt sacrée de chefferie. La première catégorie est selon André Kenne, constituée des îlots de forêts naturelles présentes dans la quasi-totalité des quartiers de chaque village Les forêts sacrées perdues dans l’Ouest-Cameroun. Pour les populations qui y croient, lesdites forêts abritent des dieux qui les protègent ou leur viennent en aide en cas de difficulté. Un sanctuaire y est construit pour servir de lieu de culte animiste pour des sacrifices individuels ou collectifs.

Tandis que la seconde, comme le souligne ce notable Batcham, est naturelle.  « Situées dans la quasi-totalité des villages, elles (les forêts sacrées, NDLR) sont le lieu des rites initiatiques des différents clans dans les villages. Les grands dignitaires ou notables y sont organisés en sociétés sécrètes avec des jours de réunions hebdomadaires, préalablement établis(…) C’est d’ailleurs dans ces forêts que les jeunes chefs du village qui accèdent au trône sont initiés à leurs nouvelles fonctions et où ils y sont enterrés à leur mort. Elles constituent des abris des totems des chefs, des notables et des autres divinités protectrices du village », renseigne le notable.

Les forêts sacrées perdues dans l’Ouest-Cameroun Un vide juridique à combler

D’après le rapport final d’exécution, 310 forêts sacrées, pour une superficie de 885,779 hectares(ha) ont été recensées dans la région de l’Ouest. Des 8 départements que compte cette région, Bamboutos est celui qui détient le plus de forêts sacrées, soit 71 d’une superficie de 96,1 ha. Cependant, malgré leur caractère sacré et leur importance dans la préservation de la biodiversité, le concept de forêt sacrée n’est pas juridiquement encadré Les forêts sacrées perdues dans l’Ouest-Cameroun. « La loi forestière de 1994 ne prend pas en compte le vocable forêt sacrée dans l’élan de conservation. Il est à noter que les principes de développement durable initiés à Johannesburg sur la conservation des forêts ont mis l’emphase sur les forêts classées et sur les aires protégées. Pour chaque type de forêts en aires protégées ou en aires classées comme les forêts communales, on retient qu’il y a un acte de création desdites forêts qui vaut un acte de naissance, suivi et géré par le département ministériel chargé des forêts et de la faune du Cameroun. Les forêts sacrées ne sont pas consacrées juridiquement », explique Marie Josée Atangana, déléguée départementale des forêts et de la faune pour la Mifi.

Selon elle, on y retrouve des arbres de plus de 100 ans, tout comme les composantes végétales destinées aux soins, traitements et à la purification pour des populations qui y croient. « Il importe de voir comment remonter avec ce principe qui est une valeur socioculturelle et traditionnelle. Elle permet d’ailleurs d’émettre des débats contemporains sur le site sacré pour permettre un jour, d’asseoir les forêts sacrées juridiquement ou plutôt à les annuler parce qu’elles ne le sont pas dans toutes les régions », souligne la déléguée départementale du Minfof pour la Mifi Les forêts sacrées perdues dans l’Ouest-Cameroun.

L’urgence de la préservation

Pour réduire la dégradation de ces espaces sacrés, Maha Ngalié, déléguée régionale du Minfof pour l’Ouest, dit croire aux actions de sensibilisation. Tandis que Jean-Fanny Sonkoué, environnementaliste à la délégation régionale de l’Environnement et de la protection de la nature et du développement durable (Minepded) pour l’Ouest valorise entre autres la délimitation participative des espaces sacrés avec l’implication des communautés et des chefs traditionnels, l’encadrement des activités à mener dans le périmètre desdits espaces et la mise en œuvre des bonnes pratiques de gestion et de valorisation économique à travers la plantation des essences médicinales et des arbres fruitiers.

Cependant, Christian Sime, chef d’agence régionale de l’Agence nationale d’appui au développement forestier (Anafor) savane humide de l’Ouest conseille l’enrichissement par des espèces qui seraient une opportunité de protection, la sécurisation physique et le bornage comme options pour restaurer et sécuriser les forêts et bosquets sacrés.

Pour lui, les forêts sacrées contribuent elles aussi à la lutte contre le réchauffement climatique, la désertification, la perte de la biodiversité. « Il y a beaucoup de plantes jadis présentes dans les villages qui aujourd’hui ne sont présentent que dans certaines forêts. Malgré des superficies qu’on pourrait qualifier de faibles, si on met toutes ces espèces ensemble, elles seront non négligeables. Les arbres contenus dans ces forêts contribueront à séquestrer le gaz carbonique ou le CO2 qui est le principal gaz à effet de serre. Par ces actions, les forêts sacrées contribuent à lutter contre les problèmes environnementaux Les forêts sacrées perdues dans l’Ouest-Cameroun. Si ces forêts sacrées viennent à disparaître, les micros climats, les espèces animales et végétales et les avantages culturels de ces dernières disparaîtront également », confie Jean-Fanny Sonkoue.

Jordan KOUENEYE

Leave comment

Your email address will not be published. Required fields are marked with *.