Région du lac Tchad : Sous financés et mal coordonnés, les humanitaires sont sans solution

Région du lac Tchad : Sous financés et mal coordonnés, les humanitaires sont sans solution

Moins de la moitié des besoins ont été couverts au Cameroun et au Tchad depuis 2019 Région du lac Tchad sous financés et mal coordonnés. Malgré le recul de l’insécurité, la crise environnementale et le sous-développement aggravent les mauvaises conditions de vie des populations.

Pour plusieurs personnes qui se partagent la calebasse de bouillie, ceci pourrait être l’unique repas de la journée. Ce 13 juillet 2023, le chef du village Malia, une localité du département du Logone-et-Chari, région de l’Extrême-Nord, à la frontière avec le Nigeria, a réuni dans sa case quelques membres de la communauté pour assister à l’échange avec le reporter venu à leur rencontre Région du lac Tchad sous financés et mal coordonnés. Dans l’attente des récoltes, la vie est difficile pour les habitants qui, après avoir vécu la terreur de Boko Haram, peinent désormais à se nourrir. La période de soudure est particulièrement difficile. Seuls quelques privilégiés ont encore des réserves de nourriture.

Le long de la route en piteux état qui traverse Malia en direction de Kousseri, le chef-lieu du département du Logone et Chari, des panneaux portant des noms d’organisations humanitaires sont en évidence. Ici, c’est la partie camerounaise de la région du Lac Tchad qui s’étend dans trois autres pays : Nigéria, Tchad et Niger. Des perspectives alarmistes avaient été avancées en août 2022 par le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’Onu (Ocha). Il alertait que l’insécurité alimentaire avait atteint des sommets dans le Bassin du lac Tchad et annonçait que 5,5 millions de personnes seraient en situation d’insécurité alimentaire grave pendant la période de soudure.

Alors que le terrorisme de Boko Haram a baissé en intensité, les conditions de vie des populations ne s’améliorent guère. Au cours des années 2019 et 2020, la population dans le besoin est passée de 9,9 millions à 12,5 millions d’individus, selon les différents rapports de Plan International. Cette organisation humanitaire ajoute que sur la période 2019-2021, le nombre de personnes en insécurité alimentaire sévère a presque doublé, passant de 3,6 à 6,2 millions Région du lac Tchad sous financés et mal coordonnés. Dans cette population vulnérable, les plus fragiles sont les quelques 257 000 réfugiés et 2,88 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays à cause de l’insécurité imposée par des groupes armés.

Les besoins touchent pour l’essentiel les domaines suivants : l’alimentation, la nutrition, les urgences sanitaires, l’eau ou encore l’éducation. Toujours selon Plan International, quelque 500 000 enfants souffraient de malnutrition aigüe sévère en décembre 2020. Jusqu’à 1 117 écoles non fonctionnelles avaient été recensées Région du lac Tchad sous financés et mal coordonnés. Jusqu’en 2024, la situation humanitaire ne s’est pas améliorée dans le Bassin du lac Tchad. Dans l’Extrême Nord du Cameroun par exemple, l’aperçu des besoins humanitaires de 2023 dressé par Ocha indiquait 1,6 million de personnes concernées, soit une augmentation de 33 % par rapport à l’année précédente.

Des personnes vivant dans le camp de déplacés de Melia, au lac Tchad, reçoivent des vivres du Programme alimentaire mondial. La plupart des personnes déplacées ont été abandonnées en raison de l’insécurité.©AN

L’Onu estime que les besoins humanitaires sont sans cesse croissants dans cette partie du Cameroun car, la crise du Bassin du lac Tchad se poursuit, et l’impact des inondations se fait sentir. Au Tchad, l’insécurité alimentaire et la malnutrition continuent de sévir dans la province du Lac et celle de Ndjamena. Ces deux provinces ont franchi le seuil élevé de l’insécurité alimentaire avec des taux de prévalence supérieurs à 10%. Soit 11,0% pour le Lac et 10,7% pour N’Djamena, selon l’Enquête nationale de sécurité alimentaire au Tchad (Ensa) de l’année 2023.

Crises multiples

La persistance de la crise humanitaire dans la région du Bassin du lac Tchad n’est que partiellement liée aux conséquences de l’insécurité imposées par Boko Haram et d’autres groupes armés depuis 2008. Des facteurs plus anciens existent et perdurent. D’après le Programme des nations pour le développement (Pnud), les contraintes environnementales se manifestent par les difficiles conditions climatiques et l’assèchement du lac Tchad qui a perdu 90% de ses eaux en 50 ans. La diminution des ressources (eau, terres arables, pâturages, etc) s’est accompagnée d’une démographie galopante.

D’ici à l’an 2025, la population du bassin dépassera 36 millions d’individus, selon les projections de la Commission du Bassin du lac Tchad, un organe de coordination créé par les Etats de cette région. Le Pnud ajoute que cette région a manqué plusieurs décennies de développement car, les Etats y ont peu investi ; d’où l’aggravation de la pauvreté, des inégalités économiques, du chômage des jeunes ou encore de l’absence des services sociaux de base (eau potable, hygiène et assainissement, etc) En plus de la sécheresse, les inondations et d’autres catastrophes naturelles, les populations sont exposées aux maladies et aux épidémies.

La crise humanitaire est donc permanente. Au Pnud, les populations du Bassin du lac Tchad, et du Sahel en général, comptent parmi les plus démunies et vulnérables au monde. Pourtant, c’est seulement à partir de 2009, avec la crise sécuritaire imposée par Boko Haram, que les actions humanitaires sont dirigées vers la région du Bassin du lac Tchad. C’est la crise sécuritaire qui a justifié l’intervention humanitaire, affirme le Dr Jean Emile Mba, spécialiste des questions humanitaires, qui bénéficie d’une expérience de travail dans les organisations telles l’Organisation Mondiale des Migrations (OIM), Plan Cameroun ou encore International Medical Corps (IMC). « Les bailleurs de fonds humanitaires financent essentiellement les interventions de crise sécuritaire, c’est-à-dire les mouvements des populations provoquées par l’insécurité. Ces bailleurs ne sont pas intéressés par les autres facteurs de crise humanitaire, notamment les problèmes de développement », explique l’expert.

Chaque année, un plan de réponse humanitaire est dressé pour chaque pays par le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’Onu (Ocha), en liaison avec les organisations humanitaires formant le système des Nations unies. Concernant le Tchad par exemple, les besoins en 2024 sont évalués à 1,125 millions de dollars US destinés à mettre en œuvre 144 projets dans plusieurs secteurs de l’activité humanitaire : eau-hygiène-assainissement, sécurité alimentaire, nutrition, santé, éducation, réponse aux réfugiés, protection des enfants, protection contre les violences basées sur le genre, fourniture des abris, articles ménagers essentiels ou encore coordination des camps et gestion des camps. Une bonne partie de ces projets est destinée à la partie tchadienne du Lac Tchad. Ici, les besoins sont classifiés extrêmes, notamment dans les provinces du Lac et du Kanem. D’ailleurs, la province du Lac est bénéficiaire de projets dans tous les domaines de l’activité humanitaire. Quant au Cameroun, le rapport de la situation humanitaire 2023 indiquait un besoin financier de 407,3 millions de dollars US pour atteindre 2,7 millions de personnes sur les 4,7 millions en situation de besoin sur le territoire national.

L’argent est rare

Les plans de réponse humanitaire restent pourtant de pieuses intentions car, les budgets sollicités auprès de bailleurs de fonds sont toujours accordés en partie. L’argent est la ressource la plus rare. En présentant le plan 2024 du Tchad en mars 2024, Ocha a rappelé que l’enveloppe de 2023, initialement fixée à 674,1 millions de dollars US, puis révisée et portée à 921 millions de dollars, n’a pas été réalisée. Les fonds se font aussi rares lorsqu’il s’agit du Cameroun pour lequel seulement 19,2 % des fonds nécessaires à la réponse humanitaire avaient été reçus au pointage effectué en juillet 2023. Plus grave, à peine 4% des financements nécessaires avaient été débloqués pour certains domaines de l’activité humanitaire, notamment les abris, la fourniture articles ménagers essentiels, l’éducation ou encore l’eau-hygiène-assainissement. « Le financement insuffisant de l’aide humanitaire prive plus d’un million de personnes d’assistance d’urgence et de services de protection au Cameroun », a déclaré Karen Perrin, la cheffe du Bureau de la coordination des affaires humanitaires dans le pays. C’était le 18 juillet 2023 au cours d’une réunion de plaidoyer auprès des donateurs afin d’obtenir plus de fonds pour la réponse humanitaire au Cameroun.

Le défaut de financement pour l’Extrême Nord du Cameroun est en partie dû au changement du statut accordé à la crise sécuritaire qui y prévaut. « Il y a un retrait des financements dans l’Extrême Nord qui est passée de la catégorie rouge à la catégorie orange. On se dit qu’il y a une accalmie ; et les attaques ne sont plus de nature à déplacer un grand nombre de personnes comme dans les années 2015, 2016 et 2017 », explique l’expert humanitaire Jean Emile Mba.

Naturellement, l’insuffisance des moyens financiers limite l’impact de l’action humanitaire. Au Tchad en 2023, la province du Lac a fait partie des territoires où l’aide humanitaire a atteint moins de 40% des cibles, selon les évaluations de terrain faites par le système des Nations unies. Au plan national, seulement 34% de l’objectif annuel a été atteint au cours des neuf premiers mois de l’année. Ces résultats en demi-teinte trouvent aussi leur explication dans les contraintes rencontrées sur le terrain, notamment l’inaccessibilité de certaines localités ainsi que les cycles de violence terroriste ou intercommunautaire.

Région du lac Tchad sous financés et mal coordonnés Les défauts de l’humanitaire

L’expert Jean Emile Mba relève plutôt le déficit de structuration du domaine de l’humanitaire ; ce qui, selon lui, limite l’efficacité des interventions. « Les Ong font une chasse fulgurante aux financements non seulement pour aider les populations mais aussi pour fonctionner. Les financements qui arrivent ne sont pas coordonnés. Chaque financement vient à son temps et à son heure. Finalement dans une même localité, on retrouve plusieurs organisations humanitaires offrant les mêmes services », explique-t-il. Des acteurs sur le terrain dans l’Extrême Nord confirment ces observations. Un travailleur au camp de Minawao confie que dans le domaine de la protection de l’enfance, trois organisations font un travail identique avec les mêmes financements. Pour remédier à la confusion, chaque Ong a été positionnée dans un ou plusieurs secteurs du camp.

Depuis l’expérience des interventions désordonnées à Haïti en 2014, l’Onu a créé un Bureau de coordination des affaires humanitaires (Ocha). Dans l’Extrême Nord du Cameroun, il reste des défis à relever malgré les efforts de coordination du bureau Ocha. Par exemple, coordonner l’ensemble des financements afin de connaître à l’avance la cagnotte mobilisée auprès des bailleurs de fonds. Pour l’expert Jean Emile Mba, il serait plus efficace de positionner les acteurs dans les différents départements de la région, en évitant que les mêmes services soient délivrés aux mêmes endroits. Dans tous les cas, on évitera les dispersions de fonds et d’énergies ainsi que la dilution de la qualité de l’intervention humanitaire.

Ceci arriverait dans le meilleur des mondes. Mais le monde actuel est encore celui de la concurrence que se livrent les Ong dans leur course aux financements. Les bailleurs de fonds en arrivent à dicter leurs agendas, imposant des projets parfois inadaptés aux besoins des populations bénéficiaires. « Généralement, les projets se construisent dans les officines et les sièges des organisations ; c’est le bailleur de fonds qui impose le projet Région du lac Tchad sous financés et mal coordonnés. C’est là encore la grande faiblesse de l’action humanitaire », se désole Jean Emile Mba. Pourtant, poursuit-il, « un projet est une gouvernance multi-partenariale dans laquelle plusieurs acteurs interviennent au rang desquelles les populations. Elles doivent définir leurs propres besoins. »

Au regard des faiblesses de l’action humanitaire dans la région du lac Tchad, il y a lieu de se demander si cette action peut changer l’existence des populations. Non répond, l’expert Jean Emile Mba qui met en garde contre le « discours angélique et malsain » qui tend à présenter l’humanitaire comme la solution. Tous les acteurs humanitaires rencontrés sont d’accord que leur travail se limite à une intervention d’urgence. Son essence c’est d’apporter de l’aide aux victimes des guerres Région du lac Tchad sous financés et mal coordonnés. Il s’agit de soigner les personnes qui ne participent pas aux combats, de les nourrir, de les protéger de manière impartiale. Il ne s’agit nullement de faire du développement. Pour faire le développement, il faut s’attaquer aux causes de la guerre, de la famine, des inondations et autres catastrophes, de la dégradation de l’environnement, etc. Cette responsabilité incombe aux Etats et leurs partenaires au développement.

Assongmo Necdem

Ce reportage est réalisé dans le cadre du projet Open Data around Lake Chad (ODALAC), organisé par ADISI-Cameroun avec l’appui financier du Centre for Journalism Innovation and Development (CJID) et Open Society Foundations (OSF).

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