Extrême-Nord : La Force Mixte Multinationale en perte de vitesse
Revue des troupes par le commandant de la force multinationale mixte, le général de division Gold Chibuisi , le 9 juin 2023. ©

Extrême-Nord : La Force Mixte Multinationale en perte de vitesse

Cette coalition des forces créée il y a presque dix ans pour lutter contre Boko Haram, subit un manque de financement, d’équipements et une baisse de son effectif Force Mixte Multinationale. Des problèmes qui handicapent aujourd’hui ses actions sur le terrain. Pour plus d’efficacité, les experts recommandent une revalorisation de son budget, augmentation de son effectif et réforme de la stratégie de lutte contre Boko Haram.

Le dimanche 4 juin 2023, quatre terroristes de Boko Haram ont été neutralisés après avoir tenté d’attaquer le poste de l’armée à Goldavi », dans le canton Mayo Moskota, département du Mayo Tsanaga à l’Extrême-Nord du Cameroun. A rapporté au téléphone le colonel Tiokap Pierre Loti, commandant le secteur numéro 1 de la Force Mixte Multinationale (FMM) de la lutte contre Boko Haram. « La nuit de cette attaque, nous avons été réveillés par des tirs. Tout le village était terrifié. Heureusement que l’armée était en alerte et a réussi à repousser l’attaque sinon ces assaillants allaient plus tard s’attaquer aux villageois », raconte Indina Aicha, une habitante du village Goldavi.

Le lendemain, dans la nuit du 5 au 6 juin 2023, un autre groupe de Boko Haram « a encore attaqué une base des forces de défense du Bataillon d’intervention rapide (BIR) autour de minuit » dans la zone de Kerawa dans la commune de Kolofata, a indiqué le commandant du secteur 1 de la FMM, précisant que le bilan de l’attaque est d’« un militaire tué ». Selon cet officier supérieur de l’armée camerounaise, c’est la 5e attaque contre les positions de l’armée depuis fin mai 2023 après Zigagué, Ziguemé, Mora et Goldavi.

Outre les hommes en tenue, les membres du Comité de vigilance (groupes structurés de façon informelle, composés de bénévoles issus des communautés), sont également visés. « Dans la nuit du 1er au 2 juin 2023, Wanaha Hetcheked, chef des membres du comité de vigilance du village Waraga situé dans le canton Limani vers Mora, a été ligoté et égorgé. Les membres du comité de vigilance sont la cible de ces terroristes parce qu’ils fournissent des renseignements à l’armée et empêchent d’attaquer nos villages », explique sa majesté Wanadala Ibrahim, chef du village Warage.

Recrudescence

Des attaques similaires, l’Extrême-Nord en proie aux exactions de ce groupe sunnite depuis 2014, en a enregistré depuis début 2023. En effet, reconnaissent les autorités et organisations de la société civile, ce mouvement terroriste a intensifié ses assauts meurtriers contre les civils et les militaires dans les villes et villages Force Mixte Multinationale. D’après l’ONG Crisis Group, dont la mission est de prévenir et d’aider à résoudre les conflits meurtriers, au moins 9 personnes dont des éléments de l’armée camerounaise ont trouvé la mort en mai 2023 dans les attaques de Boko Haram.

Joint au téléphone, Bakari Midjiyawa, le gouverneur de l’Extrême-Nord, relève que depuis le début de cette année, les terroristes de Boko Haram ont surtout multiplié des attaques contre les forces de défense surtout dans les départements du Mayo Sava, Mayo Tsanaga et du Logon et Chari entre les mois d’avril et juin 2023. « Le 29 mai 2023, un autre groupe armé a attaqué le poste de contrôle mixte à l’entrée de la ville de Mora. Deux éléments de la douane, un policier et un civil ont trouvé la mort dans cette attaque », a souligné le gouverneur.

Force Mixte Multinationale Perte de vitesse

Ces multiples attaques contre les civils et l’armée, ont eu lieu sous le regard impuissant de la FMM, une formation multinationale combinée comprenant des troupes du Bénin, du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigeria, qui a commencé ses opérations en juillet 2015 dans le bassin du Lac Tchad. « Si la FMM n’assume plus pleinement son rôle dans la lutte contre Boko Haram, c’est par manque de financement, manque d’équipements et la baisse en effectif. Au départ, la FMM avait 10 milles hommes. Certains de ces soldats ont trouvé la mort, d’autres encore ont eu des membres amputés suites aux explosions », explique sous anonymat, un chef de bataillon de la FMM joint au téléphone.

A en croire cette source, certains partenaires qui ont promis des financements à la FMM, ne respectent plus leurs engagements.  « Il y a plusieurs raisons qui expliquent ce relâchement.  Nous avons aussi constaté qu’en saison sèche, les terroristes circulent facilement dans les brousses, donc on observe une augmentation d’attaques. Le 15 mars 2018, l’Union européenne (UE) a offert 61 véhicules à la FMM, mais ce matériel s’est abîmé avec le temps », renchérit cette source.
La FMM est en effet, une coalition des forces « avec une capacité accrue d’environ 10 000 hommes » ayant son quartier général à N’Djamena, au Tchad, et son secteur numéro 1 à Mora à l’Extrême-Nord du Cameroun. Elle a pour mandat de mettre fin aux activités de Boko Haram et d’autres groupes terroristes dans la région du bassin du lac Tchad, peut-on lire sur son site internet officiel.

Equipements

Selon sa majesté Alahdji Issa, chef traditionnel de Bonderi dans le Mayo Sava, les moyens de la FMM ne sont pas adaptés à leur champ d’action. « Les membres de Boko Haram circulent généralement avec des motocyclettes, donc ils sont capables d’aller plus vite sur le sable que les véhicules de la FMM. Ils sabotent régulièrement les antennes téléphoniques et privent les villages des moyens de communication. En cas d’attaque de Boko Haram, il est difficile voire impossible d’alerter la FMM à temps », explique ce chef traditionnel.

En outre, relève Hamadou Godjé, chef traditionnel de Tourou dans le Mayo Tsanaga, le sous-effectif de la FMM pose problème dans l’offensive contre cette secte. « La FMM n’a pas assez de militaires pour nous protéger en même temps que les villages riverains. Parfois les combattants de Boko Haram sont mieux équipés que nos militaires de la FMM. Au Nigéria voisin, les militaires de la FMM utilisent des avions pour chasser ces terroristes, mais ici c’est ne pas le cas.  Mon village Tourou est situé près de la frontière avec le Nigeria. Le soir, nous nous réfugions vers les montagnes avec nos biens de peur d’être tués par Boko Haram », explique-t-il.

Dans un rapport publié le 7 juillet 2020, l’ONG Crisis Group estime que « l’engagement discontinu et des problèmes de financement » du Bénin, du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigeria, « combinés à une planification désordonnée ont limité son efficacité » à lutter contre Boko Haram. « Malgré nos difficultés, la FMM ne relâchera pas ses efforts pour éradiquer le terrorisme et l’insurrection dans la région du bassin du lac Tchad. Une partie des stratégies de lutte contre le terrorisme était le concept d’activités non cinétiques menées par la FMM qui a donné des résultats positifs. La FMM a la détermination à mettre fin au fléau du terrorisme dans la région du bassin du lac Tchad », a confié le Général de brigade Assoualai Blama, commandant adjoint de la FMM.

Selon le chercheur Aristide Sawadogo Wendyam de l’Institut d’études de sécurité, cette faiblesse serait aussi la conséquence des relations tendues entre les différents pays membres. « L’aggravation de la situation sécuritaire a contraint les États membres de la FMM à mettre de côté leurs divergences. Mais aujourd’hui, les relations entre les quatre principaux pays contributeurs restent tendues. Des actions sont conduites sans concertation et certains pays revendiquent pour eux-mêmes des victoires obtenues dans des opérations communes contre Boko Haram », analyse-t-il.

Aussi, soutient ce chercheur sénégalais, les contributions financières du Nigeria, du Royaume-Uni, de la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) et de l’EU ne parviennent pas à combler le budget initial de la FMM estimé à 700 millions de dollars US. Il propose à cet effet, un soutien plus sérieux pour renforcer les capacités opérationnelles de la FMM « afin de soutenir ses efforts de stabilisation et de reconquête des territoires aux mains de Boko Haram » Force Mixte Multinationale.

Bien qu’affaibli aujourd’hui, le couturier Djibrilla Abba estime que cette unité a beaucoup œuvré pour combattre ce mouvement terroriste. « Je me rappelle de l’attentat commis au centre ville de Maroua au niveau du Pont vert où au moins 20 personnes avaient perdu la vie en juillet 2015 quand un engin a explosé dans un bar. Nous avons vécu le pire. Maroua était déclaré une zone de guerre et à 18 heures, on observait l’état d’urgence. La FMM a réussi à repousser ces terroristes hors de Maroua jusqu’aux frontières. Grâce à cette force qui a déjoué plusieurs autres attaques, aujourd’hui, nous vivons dans la paix et la sérénité », confie Djibrilla Abba, couturier à Maroua.

Force Mixte Multinationale Nouvelle stratégie

Face à ce relâchement de la FMM, Clément Zang Abeng, enseignant chercheur à l’université de Maroua, recommande d’augmenter leurs effectifs. « La FMM a déployé des milliers de soldats dans la région de l’Extrême-Nord pour prévenir et repousser les attaques de Boko Haram, mais les habitants et les travailleurs humanitaires ont constaté que cette présence militaire était bien trop faible pour protéger efficacement les civils », relève ce chercheur.

Il propose également que les membres des comités de vigilance soient formés ou bien recrutés dans les rangs des anciens combattants de l’armée. « La FMM s’est appuyée sur des comités de vigilance pour les fournir des renseignements et protéger leurs communautés respectives. Elle a alors forcé des civils à assumer des tâches sécuritaires sans formation ni protection adéquates, les exposant à des risques considérables », explique Clément Zang Abeng.

Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique Centrale à Human Rights Watch penche pour une réforme de la stratégie de lutte contre ces djihadistes Force Mixte Multinationale. Des nouvelles mesures concrètes qui permettront d’accroître la protection des communautés vulnérables tout en veillant sur le respect des Droits humains. « Alors que la région de l’Extrême-Nord devient de plus en plus l’épicentre de la violence de Boko Haram, le Cameroun devrait adopter et mettre en œuvre de toute urgence une nouvelle stratégie respectueuse des droits pour protéger les civils en danger », a-t-elle-déclaré.

Peter Kum, à Maroua

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