Forêts sacrées : « Elles constituent le socle social des peuples »
Sa majesté Bruno Mvondo

Sa majesté Bruno Mvondo, président du Réseau des chefs d’Afrique pour la gestion durable de la biodiversité et des écosystèmes des forêts et par ailleurs chef Minko-Bityili à Ebolowa, aborde la problématique des forêts sacrées en évoquant ses enjeux dans la conservation de la biodiversité dans la région de l’Ouest Forêts sacrées socle social. C’était lors du 1er forum national des aires du patrimoine autochtone et communautaire des forêts sacrées qui s’est tenue à Bafoussam du 9 au 10 décembre 2023.

Comment pouvez-vous décrire les forêts sacrées ?

La forêt sacrée est un lieu interdit où il y a un certain nombre d’actions et d’articulations qui se passent à l’intérieur. La forêt sacrée est un lieu de savoir traditionnel. Elle est un lieu où les savants traditionnels se rencontrent. C’est l’université, l’école, le laboratoire, la pharmacie, la clinique, le centre hospitalier de référence du village. C’est un tout constructif qui est le socle du village.

Forêts sacrées socle social Quand vous parlez de l’interdit, on a envie de croire que les choses mystérieuses s’y passent. Quelles sont les valeurs des forêts sacrées ?

Il s’agit d’abord des valeurs spirituelles et cultuelles. La spiritualité ou ce qui n’est pas physique conditionne en réalité le physique. La forêt sacrée est là pour d’abord nous permettre de connaitre ce qui est immatériel et puis de maitriser le matériel. La forêt sacrée est l’école de vie pour chacun de nous. Elle est le lieu où chacun va s’imprégner de ce qu’il y a de plus important dans le village. La forêt sacrée, c’est le socle de la communauté. La communauté est régie sur les piliers tels que la spiritualité. Elle est le lieu où la communauté s’exprime. Le village est régi par les règles traditionnelles. Et la forêt sacrée est le lieu où on les applique rigoureusement. C’est un espace. C’est un territoire. C’est le seul endroit où toute la communauté se reconnait. C’est un espace vital pour la communauté.

Qui peut avoir accès à la forêt sacrée ?

Tout le monde peut avoir accès à la forêt sacrée. Il peut le faire directement ou indirectement. Si je vais dans la forêt sacrée, ça veut dire que ma famille y va : mes enfants, mes femmes et tout le monde. Nous sommes dans une société où la représentation joue un très grand rôle. La mère l’est parce qu’elle a une fille ou un fils. Si elle est quelque part, ça veut dire que ses enfants y sont. La forêt sacrée est justement cet endroit qui est régi et administré par un certain nombre de règles, respectées par certain nombre de personnes qui les mettent en œuvre. Ces personnes sont représentatives par rapport à la communauté qui s’incarne à l’intérieur de ladite forêt sacrée. En fait, quand on dit forêt sacrée, il faut d’abord enlever le qualificatif sacré, et retenir que c’est la forêt. Et comprendre que la forêt joue un rôle existant depuis la nuit des temps. Et le côté sacré qu’on y ajoute, a une dimension sécuritaire qu’on apporte à cet espace. Cette dimension sécuritaire se confond avec la spiritualité, qui, en faite, est le corps défendant de ce qu’il y a dans cette forêt.

Accéder dans la forêt communautaire, c’est par palier. Quand on passe par ce palier, on peut accéder à un autre parce qu’il y a un certain nombre de choses qu’il faut connaitre pour y accéder. Mais, il faut reconnaitre que la forêt n’est pas pour un individu. Il n’y va pas pour lui-même. Il y va pour la communauté parce que la forêt sacrée c’est pour la communauté. C’est pour cela qu’il s’agit d’un tout en un.

Forêts sacrées socle social Si l’on s’en tient aux explications que vous venez de donner, on comprend qu’il y a certains degrés lors qu’on accède dans la forêt sacrée. Pouvez-vous nous parler de ces différents degrés ? 

Voulez-vous que le papa se met à expliquer à son enfant comment ils ont fait pour lui donner naissance ? Mais, il faut reconnaitre qu’une communauté est régie par un ensemble de règles. Et la communauté est organisée et structurée. Il y a des niveaux de décisions. N’importe qui, ne doit pas être avec vous. Vous avez un certain nombre de personnes. Quand vous avez une société organisée, chacun a un rôle à jouer et personne ne doit influencer le rôle de l’autre. Tout au plus, tous collaborent pour que chacun puisse assumer son rôle. Il en est ainsi de la forêt sacrée. Chacun joue pleinement son rôle dans la forêt sacrée pour qu’on puisse atteindre un objectif. Chacun a une formation spécifique par rapport au rôle qu’il doit assumer. Lorsqu’il n’est plus là, il y a un autre qui continue ce qu’il faisait. C’est ce qu’on appelle la transmission. La succession.

Qu’est-ce qu’on gagne à préserver la forêt sacrée ?

Ce qu’on gagne en préservant la forêt sacrée, c’est tout. D’abord, nous avons dit que c’est le socle de la société. C’est dans la forêt sacrée qu’on retrouve tous les savoirs sacrés. C’est dans cet espace qu’on implémente tous les savoirs sacrés. Ça veut dire que quand vous avez la forêt sacrée, vous avez la banque des données du savoir traditionnel et les savants traditionnels. Vous avez la ressource à partir de laquelle, on implémente tous les savoirs traditionnels. Quand vous avez la forêt sacrée, vous avez la spiritualité qui permet à la communauté de vivre, d’être en connexion avec la nature, avec ceux qui ont commencé et qui ne sont plus visibles aujourd’hui avec nous mais qui existent parmi nous. Quand vous avez la forêt sacrée, vous avez la capacité de comprendre l’environnement, même au-delà de la forêt, de communiquer avec les autres.

Forêts sacrées socle social Certains chefs, comme l’a démontré certains experts au cours de ce forum, sont réfractaires aux études dans les forêts sacrées pouvant aboutir à la loi qui régit ces espaces. Ne constituent-ils pas déjà des pesanteurs devant conduire à ce résultat ?

Chaque chef est dans la société qui lui convient. Et chaque société a le chef qui lui convient. Le chef, vous l’appelez majesté. Le chef n’est pas l’incarnation des vivants. Il est l’incarnation de ceux qui ne sont plus là, mais au milieu des vivants. Il est le pont. Le chef traditionnel n’a pas son pouvoir des vivants. Non. Même si vous vous rendez compte que vous avez contribué pour cela mais ce n’est pas votre décision, parce que ceux qui ont créé ce village, ont eu à faire des rites. Ils ont eu à faire un certain nombre de serments. Et la personne qui arrive pour le diriger doit revêtir leur onction. Et les décisions que le chef prend, vous devez les assumer avant de réfléchir. C’est l’une des raisons qui nous entrainent dans le chaos auquel nous nous trouvons aujourd’hui. C’est qu’au-delà de ce que nous sommes, nous avons des choses que nous avons eu à prendre dans les cahiers, les livres qui n’appartiennent pas à notre contexte. Vous pensez qu’un chef qui se rend compte qu’il a dans sa communauté des personnes qui ne sont pas prêtes à assumer des responsabilités en termes de secret, face à des démarches à entreprendre de sacrifices, vous pensez que ce chef va ouvrir les vannes ? Non. Il va vous dire que sa société a encore besoin d’une certaine maturité pour avancer. Un chef qui dira, venez faire un certain nombre de choses, c’est parce qu’il sait qu’il y en a autour de lui qui ont une certaine dimension, et qu’avec eux, il y aura un bond vers le meilleur mais pas vers l’inconnu.

Interview réalisée par Jordan Kouénéyé

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